Les professeurs ne sont pas les seuls à vivre des lendemains de grève difficiles. Des orthophonistes du réseau public jugent la nouvelle entente de principe du Front commun « extrêmement décevante » et s’apprêtent à voter contre la proposition.

« Pour les orthophonistes, c’est extrêmement décevant. On a encore une fois l’impression de ne pas être reconnus comme des professionnels en milieu scolaire », explique Anne-Marie Miville, qui travaille comme orthophoniste en milieu scolaire dans la Capitale-Nationale.

« J’ai plein de sentiments. Je suis déçue, triste et indignée. C’est rare que notre contribution au monde scolaire est reconnue. On est passés un petit peu inaperçus », estime de son côté l’orthophoniste en milieu scolaire dans la région de Québec Nadia Rhéaume.

Toutes les deux reconnaissent certaines avancées sur le plan salarial, mais auraient néanmoins souhaité que les orthophonistes obtiennent une offre différenciée, à l’instar des psychologues.

« On a quand même une maîtrise et on a un apport majeur dans l’évolution des élèves », note Mme Rhéaume.

On sent un peu qu’il y a une iniquité. Ça crée beaucoup de frustration

Anne-Marie Miville, orthophoniste en milieu scolaire

Sur le plan des salaires, le Front commun a obtenu des augmentations de 17,4 % sur cinq ans. Tous les psychologues des réseaux de la santé et de l’éducation obtiendront en plus une majoration salariale de 10 %, peu importe le nombre d’heures travaillées. Cette majoration salariale est prise en compte par le régime de retraite, c’est-à-dire qu’elle aura un impact sur la prestation versée aux psychologues au moment de leur retraite.

Cette réalité est loin d’être unique. Mardi, La Presse a rapporté que les professeurs de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) partagent aussi une forme de « désillusion », voire de sentiment de « défaite », de déception et de colère, face à l’entente de principe conclue entre leur syndicat et Québec.

Exode vers le privé

Plusieurs orthophonistes à qui nous avons parlé craignent que ce manque de valorisation n’entraîne l’exode de leurs collègues vers le privé. « Il y en a qui verbalisent qu’elles pensent aller au privé. Elles sont en train de regarder des prix pour des locaux commerciaux, par exemple », illustre en ce sens Mme Miville.

Et le temps presse, puisque déjà en octobre, il restait 156 postes d’orthophoniste à pourvoir dans le réseau public, comme l’a rapporté La Presse en novembre. C’est 21 postes de plus qu’à pareille date en 2022.

« Il manque des orthophonistes à la fois dans le réseau scolaire et dans le réseau de la santé et il y a encore des mois d’attente pour recevoir des services en orthophonie », déplore Catherine, une orthophoniste dans le domaine de la santé qui a préféré taire son nom de famille par crainte de représailles de son employeur.

Lorsque l’orthophoniste au primaire Véronique Lemaire est partie pour son congé de maternité l’an dernier, son poste n’a pas été pourvu. « Pendant un an, il n’y avait personne. Je suis revenue en novembre et j’avais une pile de dossiers qui s’était accumulée. Je dois pédaler encore plus vite pour rattraper le retard. »

Une mesure jugée décevante

Geneviève Fortin-Boudreault, orthophoniste en milieu scolaire, déplore elle aussi l’offre de Québec de rembourser jusqu’à la moitié des cotisations aux ordres professionnels uniquement aux employés ayant un poste à temps plein. « On est facilement la moitié des orthophonistes qui ne sont pas à temps plein pour notre santé mentale et pour notre équilibre familial. »

En travaillant à temps partiel, Mme Fortin-Boudreault n’aura pas accès au remboursement.

« Il y a une déception. Je travaille à 80 %, parce que j’ai trois enfants, dont un qui a une maladie chronique », dit-elle.

Le gouvernement s’est engagé à rembourser la moitié de la cotisation aux ordres professionnels des travailleurs jusqu’à concurrence d’une somme annuelle de 400 $ pour les employés à temps complet, dont le poste nécessite une adhésion à l’ordre. C’est le cas notamment des orthophonistes.

Ultimement, donc, plusieurs orthophonistes se préparent à voter contre l’entente de principe. « C’est pour montrer mon mécontentement », dit Nadia Rhéaume.

On dit toujours que ça va être notre tour à la prochaine convention. Ça fait 15 ans que je travaille en tant qu’orthophoniste. Je perds un peu la foi qu’on va être reconnus. C’est ça qui fait mal.

Anne-Marie Miville, orthophoniste en milieu scolaire

Mme Fortin-Boudreault est du même avis. « C’est notre façon de dénoncer la situation. On est tellement formées, on a tellement de connaissances et on est sous-utilisées, on ne peut pas continuer dans cette trajectoire-là », dit-elle.

Depuis lundi, les membres du Front commun sont appelés à voter sur l’entente. Plus de la moitié d’entre eux devront voter en faveur de l’entente pour qu’elle soit acceptée.

L’histoire jusqu’ici

23 septembre : Le Front commun organise une importante manifestation à Montréal pour dénoncer les offres de Québec.

6 novembre : Les 420 000 membres du Front commun lancent une première journée de grève. D’autres périodes de grèves auront lieu en novembre et décembre.

23 et 24 décembre : Presque tous les syndicats affiliés au Front commun en arrivent à des hypothèses de règlement avec Québec, à la suite de négociations intensives.

28 décembre : Le Front commun parvient à une entente avec le gouvernement sur le plan des salaires.

15 janvier : Les travailleurs commencent à se prononcer sur l’entente de principe.