Que veulent les enseignants dans le bras de fer qui s’étire avec Québec ? S’attaquer en priorité à la question des classes trop difficiles à gérer pour en arriver à une entente avec le gouvernement à la table de négociation. Les présidentes des deux syndicats de profs, Josée Scalabrini et Mélanie Hubert, ont fait le point lundi, la FAE saluant des discussions « productives ».

Quelles sont les priorités des enseignants ?

De concert avec l’allégement de la tâche des enseignants, la composition de la classe est « la priorité », dit la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE), qui représente 95 000 profs.

« Donner du temps aux enseignants pour être capables de s’occuper de leurs élèves. Faire ce pour quoi ils avaient une passion et sont allés à l’université, c’est-à-dire enseigner », explique sa présidente, Josée Scalabrini, en entrevue.

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Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement

Concrètement, Mme Scalabrini évoque la création de groupes spéciaux, la pondération d’élèves avant la création des groupes et une baisse des ratios dans certains niveaux (par exemple, au préscolaire). Des solutions qui pourraient « donner de l’espoir aux enseignants et trouver des solutions pour ceux qui pensent à partir ».

Elle rappelle que le premier ministre François Legault s’est dit « prêt à tout faire » pour les élèves du Québec. « S’il est prêt à tout faire, qu’il commence à donner des mandats pour qu’on soit capable de discuter aux tables. La vraie négociation n’est pas encore commencée », poursuit Mme Scalabrini.

La présidente de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) dit elle aussi que la « clé » de la négociation, c’est la composition de la classe. Il s’agit d’un « enjeu majeur » qui « à lui seul vaut une bonne partie de la négo », a affirmé en conférence de presse Mélanie Hubert, qui représente 66 500 enseignantes.

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Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l’enseignement

Elle en appelle à des changements concrets, qui pourraient aller « jusqu’à la création de classes pour essayer de mieux répartir les besoins des élèves ». En ce moment, dit-elle, Québec n’offre que des « vœux pieux ».

Et l’argent ?

La FSE place toujours l’« amélioration de la rémunération du personnel enseignant » dans ses trois grandes priorités.

La semaine dernière, le premier ministre François Legault s’est dit prêt à bonifier sa nouvelle offre d’augmentations de salaire de 12,7 % en cinq ans, présentée mercredi.

Mais il en faudra plus pour convaincre les profs. « Quand on vient me dire ‟ceux qui le veulent, on va les payer plus cher s’ils veulent prendre plus d’élèves ou veulent faire plus d’heures », je me fais répondre par les enseignants : ‟deux cafés de plus par semaine, je veux rien savoir de ça. Je veux donner le service à l’élève qui en a besoin actuellement » », relate Josée Scalabrini.

La FAE dit qu’il y a eu du progrès sur le front monétaire, mais qu’il reste encore du travail à faire quant à la réduction du nombre d’échelons pour arriver au sommet de l’échelle salariale et l’atteinte de la moyenne canadienne.

Comment se passent les négociations ?

Lundi soir, dans un message publié sur les réseaux sociaux, la FAE a salué « les avancées réalisées au cours des dernières heures ».

Le syndicat a jugé les discussions « productives ». « Nous demeurons cependant prudents : nous jugerons l’arbre à ses fruits », a-t-on ajouté.

La FSE, de son côté, déplore qu’il n’y ait pas « de réelle négociation ». « Ça fait un an et demi qu’on serait supposé d’être en négociations et on a toujours été en périphérie. On a discuté de bien des choses autour, mais les priorités [composition de la classe, allégement de la tâche], ils ont toujours refusé d’en parler. La conclusion pour eux, c’est toujours : s’il y a un ajout de profs, on ne peut pas en parler », dit en entrevue Josée Scalabrini.

Appelée à évaluer l’avancée des négociations en conférence de presse, Mélanie Hubert, de la FAE, a affirmé : « on ne peut pas dire qu’il y a 50 % de réglé au moment où on se parle ». Une grande manifestation est organisée par ce syndicat, mardi, au centre-ville de Montréal.

Un règlement est-il encore possible d’ici Noël ?

« Oui », lance sans hésitation Josée Scalabrini, qui ajoute néanmoins que ce serait « impossible de faire ça en 48 heures, même une semaine ».

« Autant le gouvernement que nous, ce qu’on voudrait, c’est qu’en janvier, on soit dans une vie normale et déjà en train de préparer l’année scolaire 2024-2025 », dit Mme Scalabrini.

La FAE dit elle aussi souhaiter un retour en classe avant Noël.

Il serait par contre « très, très » optimiste d’envisager que les profs retournent à l’école cette semaine, a soutenu la présidente de ce syndicat. Mélanie Hubert explique néanmoins que l’obtention d’une entente de principe, même s’il ne s’agit pas d’un « texte final », permettrait aux profs de reprendre le travail.

Et François Legault…

Les récentes déclarations du premier ministre François Legault ne sont pas passées inaperçues chez les syndiqués. Il a notamment déclaré la semaine dernière que « ça risque de brasser dans les prochaines semaines » aux tables de négociations.

Mélanie Hubert a affirmé lundi qu’elle n’était « pas certaine » que le premier ministre soit « la bonne personne pour venir se mêler de la négociation ».

« Lui qui, la semaine d’avant, disait : ‟s’il vous plaît, les profs, rentrez. Les élèves, c’est important, ce n’est pas bon, ce qu’on fait à nos enfants ». La semaine suivante, il nous dit : ‟ça va brasser, préparez-vous, vous n’avez rien vu » ».

En entrevue, Josée Scalabrini soutient pour sa part « qu’il faut arrêter de faire des déclarations qui viennent crinquer encore plus les enseignants ».

Les négociations se poursuivent, dit le Conseil du trésor

Au cabinet de la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, on avait une autre interprétation de la situation, lundi. « Malgré ce qui est véhiculé, j’assure aux Québécois que les équipes de négociations gouvernementales ne ménagent aucun effort aux tables : les discussions se déroulent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, en continu, à tous les niveaux et avec tous les syndicats », nous a-t-on écrit. On ajoute toutefois que « les demandes syndicales sont encore beaucoup trop élevées pour être réalistes ». « En effet, pour répondre à leurs revendications, nous devrions doubler notre offre actuelle de 9 milliards. Parmi leurs demandes : des congés supplémentaires sans rehaussement de prestation et des baisses de ratio qui demanderaient l’embauche de milliers d’employés supplémentaires qui n’existent tout simplement pas », écrit le cabinet de Sonia LeBel.

Avec Hugo Pilon-Larose, La Presse