Une autre réforme du système d’éducation a été adoptée par une loi, jeudi, en pleine grève. Le Conseil supérieur de l’éducation, un organisme indépendant qui existe depuis plus de 60 ans et qui proposait une réflexion critique sur l’éducation, disparaît sous sa forme actuelle. Son démantèlement, comme celui d’autres garde-fous, suscite des inquiétudes.

Encore une réforme en éducation ?

En 2020, le gouvernement Legault a aboli les commissions scolaires, éliminé les élections scolaires et les commissaires élus. C’est « la plus grande opération de décentralisation gouvernementale des dernières années », avait déclaré le ministre de l’Éducation d’alors, Jean-François Roberge. Il s’agissait officiellement de redonner aux parents, aux enseignants et à chaque milieu une plus grande prise sur les écoles. Dans les faits, les directeurs généraux de chaque centre de services scolaire se sont retrouvés avec d’importants pouvoirs. Avec sa loi votée jeudi, le gouvernement Legault s’est notamment donné le pouvoir de nommer lui-même les directeurs généraux des centres de services scolaires, de les limoger ou de casser leurs décisions.

Qu’en pensent les syndicats ?

Dans son mémoire présenté en commission parlementaire, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) s’est inquiétée de la création, par cette loi, d’un institut de l’excellence en éducation. La CSQ craint que le gouvernement vise par là une « transformation des pratiques pédagogiques des enseignantes et des enseignants » et que le nouvel institut soit « orienté vers un courant de recherche en particulier » sans que l’ensemble des meilleures pratiques soit pris en considération. La Fédération autonome de l’enseignement a carrément réclamé dans son mémoire le retrait du projet de loi, qu’elle estime être « un coup de poignard dans le dos de la profession enseignante » et « une centralisation à outrance du réseau de l’éducation ».

Quelles sont les autres inquiétudes exprimées ?

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire, Kathleen Legault

Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire, s’inquiète de la disparition de « contre-pouvoirs » les uns après les autres. Après avoir éliminé les élus scolaires et aboli les commissions scolaires, la CAQ abolit maintenant le Conseil supérieur de l’éducation, dénonce-t-elle. Ce comité, « aussi reconnu que pertinent », conseillait et critiquait au besoin le gouvernement, produisant des avis sur des sujets aussi variés que les bulletins, le financement des universités, l’introduction dans le programme de nouveaux cours, etc. En éducation, le Conseil supérieur de l’éducation, c’était « le porte-voix de la société civile », estime Mme Legault.

Le Conseil supérieur de l’éducation meurt-il ?

Le Conseil supérieur de l’éducation ne meurt pas complètement. Il devient le Conseil de l’éducation supérieure et ne sera donc plus appelé qu’à donner son avis sur les cégeps et les universités. Sa présidente, Monique Brodeur, n’a pas encore accordé d’entrevue, mais assure, dans un communiqué, qu’elle travaillera « de pair avec le ministre de l’Enseignement supérieur afin de réaliser tout mandat en enseignement postsecondaire qui lui sera confié, et ce, avec [les] même[s] rigueur, impartialité et ouverture dont [le Conseil] a fait preuve depuis 60 ans ».

Quels seront les effets de la nouvelle loi pour les élèves ?

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Le président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement, Nicolas Prévost

Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement, voit, lui, la réforme d’un œil assez positif. Il note qu’elle comporte notamment des balises pour l’enseignement à distance. En raison d’une digue qui risque de céder dans les Hautes-Laurentides, « quatre écoles seraient fermées ». « Avant, on n’aurait pas pu offrir l’enseignement à distance. Avec la réforme, on le pourra dans des situations comme celle-là [sauf s’il y a grève comme maintenant, bien sûr]. »

En quoi la nouvelle loi changera-t-elle la formation des enseignants ?

Jusqu’ici, la formation des futurs enseignants, à l’université, était encadrée par le Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement, le CAPFE. En mai, furieux de la réforme annoncée, tous ses membres ont démissionné en bloc. Avec la réforme, cet organisme disparaît lui aussi. La présidente démissionnaire intérimaire, Liliane Binggeli, dénonce le fait que le gouvernement Legault aura dorénavant, à son avis, « la mainmise sur la formation initiale des enseignants ». « C’est un jour sombre pour l’éducation », estime-t-elle.