Des centaines de milliers d’élèves de la province entament ce jeudi leur huitième journée sans école en raison des grèves qui affectent le secteur public. Pour ceux qui fréquentent un établissement privé, l’école se poursuit cependant sans interruption : il s’agit d’un « privilège » du réseau privé, disent deux professeurs.

Les enseignants sont dans la rue pour revendiquer de meilleures conditions de travail et il est vrai que pendant ce temps, les élèves ne sont pas à l’école.

Tous les élèves du Québec ? Non.

S’il existe une différence entre le nombre de jours des grèves selon que les enseignants sont affiliés à la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) ou à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), les deux principaux syndicats enseignants, il y a aussi un contraste marqué entre le réseau public et le réseau privé. Le second est épargné par les grèves.

Encore « plus d’inégalités »

Professeure titulaire à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, Marie-Odile Magnan établit un certain parallèle entre ce qui se passe actuellement et la pandémie.

« On avait vu pendant la COVID-19 à quel point les inégalités étaient exacerbées entre ces deux secteurs. À chaque crise, on voit que c’est le public qui subit plus d’inégalités », dit Mme Magnan.

Or, poursuit la professeure, « les recherches montrent que les parents aisés sont plus susceptibles de pouvoir se permettre d’accéder au privé ».

En conséquence, « ce sont les parents les moins nantis qui n’ont pas accès au privilège de ne pas subir d’interruption de service en temps de crise », poursuit Mme Magnan.

« Un certain privilège »

Professeur adjoint à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, Kevin Naimi observe lui aussi que cette grève du secteur public est « un autre exemple d’un certain privilège pour les élèves du réseau privé ».

Cette grève, croit le professeur, aura des impacts sur les élèves déjà fragilisés, « une réalité qu’on voit assez régulièrement » dans le réseau public. Mais il ajoute que « les enseignants sont justement en grève pour un meilleur soutien pour le système public ».

C’est aussi ce que fait valoir la présidente de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal (APPM), un syndicat affilié à la FAE, qui a déclenché une grève générale illimitée le 23 novembre dernier.

La bataille qu’on mène, c’est pour nos conditions de travail, mais aussi pour les conditions d’apprentissage de nos élèves. Et l’école publique, qui manque d’amour depuis des années, est sous-financée depuis des années.

Catherine Beauvais-St-Pierre, présidente de l’APPM

« Les écoles privées ne sont pas dans le même bateau », ajoute Catherine Beauvais-St-Pierre.

Oui, il y a des élèves qui ne vont pas à l’école depuis plusieurs jours, mais les écarts entre les jeunes du Québec sont déjà bien visibles, poursuit la présidente de l’APPM.

« On a un gouvernement qui refuse de cesser de financer les écoles privées, refuse d’admettre que l’école à trois vitesses a des conséquences directes et négatives sur les élèves, qui ne s’intéresse pas à l’école publique », dit Catherine Beauvais-St-Pierre.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Beauvais-St-Pierre, présidente de l’APPM

« C’est ça qui nuit à nos élèves et contribue à cet écart », poursuit-elle.

Le financement de l’école privée remis en question

Le financement public des écoles privées est-il l’éléphant dans la pièce de cette négociation ? Devrait-on le revoir ?

« Absolument », dit le professeur Kevin Naimi.

« Le fait que le gouvernement subventionne un système qui crée des inégalités, c’est à revoir, c’est certain. Si on compare le Québec aux autres provinces, le financement est beaucoup, beaucoup plus élevé au Québec », ajoute M. Naimi.

Dans le contexte des négociations, il s’agit d’une question pertinente, dit aussi la professeure Marie-Odile Magnan.

« On peut se poser la question : pourquoi l’État continue à financer les écoles privées ? Ça engendre ces questions-là également », dit Mme Magnan.

Chez les parents aussi, on évoque la différence entre les réseaux privé et public, mais aussi entre les plus et les moins nantis.

« Il paraît qu’il n’y a plus de tuteurs sur le marché. Ce ne sont pas tous les parents qui ont les moyens de payer pour ça. On est en train d’exacerber l’iniquité et c’est très difficile de rattraper ça », dit Sylvain Martel, porte-parole du Regroupement des comités de parents autonomes du Québec.

Marie-Odile Magnan se dit elle aussi inquiète. « Ça me préoccupe de savoir combien de temps ça va durer. Est-ce que par la suite les élèves du secondaire vont être motivés à retourner à l’école ? », dit la professeure.

À la Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP), on n’a pas souhaité commenter cette question « par respect » pour le personnel des écoles publiques.

« Souhaitons que tout cela se règle rapidement de façon optimale pour tous », nous a néanmoins écrit Geneviève Beauvais, directrice des communications et des affaires publiques de la FEEP.