L’agression subie par une enseignante de Laval jeudi – assaillie par son élève de 13 ans – témoigne de la montée en flèche, chez le personnel scolaire, du nombre de lésions professionnelles ou psychiques attribuables à la violence.

Selon des données obtenues par La Presse auprès de la CNESST, le nombre de ces lésions liées à de la violence à l’égard d’enseignants et de professeurs a augmenté de 64 % entre 2018 et 2022. La hausse est de 104 % dans la catégorie des éducateurs spécialisés travaillant auprès de personnes présentant une déficience, des éducateurs de la petite enfance et des travailleurs sociaux.

Les rapports de la CNESST touchant les centres de services scolaires – obtenus après une demande d’accès à l’information et largement caviardés – illustrent cette violence au quotidien. Elle survient notamment dans des classes d’élèves présentant des problèmes de comportement ou d’adaptation, mais pas exclusivement.

« Elle affirme avoir reçu des coups de la part d’un élève. Elle ajoute qu’elle ne savait pas comment réagir et affirme qu’elle craint pour sa sécurité et celle des autres élèves. »

Ou alors : « L’élève lance des objets qu’il a sous la main (chaise, crayons, livres, ciseaux, bureau). Il fait de la violence verbale et donne des coups de pied. »

Dans une autre école : « Un élève […] frappe, gifle, crache, agrippe le haut du corps, agresse verbalement et lance des objets, entre autres. Les tentatives d’agression envers les travailleurs sont récurrentes et imprévisibles et se perpétuent depuis plusieurs mois. Les travailleurs sont témoins d’agressions récurrentes envers les élèves. »

Ailleurs : « L’élève est intolérant à la moindre frustration ou contrariété. Il devient réactif et passe très rapidement d’un calme apparent à une désorganisation majeure. »

Une violence trop banalisée

Éric Gingras, président de la Centrale des syndicats du Québec (qui représente notamment les enseignants), n’est aucunement surpris par tout cela et il le dit tout de go : le personnel subit si fréquemment de la violence au quotidien qu’il en vient à la banaliser, regrette-t-il.

Si un jeune [du primaire] mord, par exemple, on aura tendance à se dire que c’est parce qu’il est jeune, qu’il était en crise, et on n’appelle pas les parents.

Éric Gingras, président de la Centrale des syndicats du Québec

Au primaire, le personnel scolaire est plus exposé à de la violence physique, poursuit-il. Au secondaire, « c’est davantage de la violence verbale, des menaces du genre : “Je vais t’attendre à ton char après l’école.” Ça n’arrive pas, l’élève ne le fait pas, mais ça atteint néanmoins l’enseignant », fait observer M. Gingras.

Souvent, les écoles sévissent « en choisissant les pires cas ou ceux dont les parents ne vont pas chialer, ceux dont les parents ne diront pas : “Mais mon enfant avait raison !” ».

Quand le personnel est exposé à ce genre de parents, il finit par « gérer ça à l’interne », ce qui est loin d’être souhaitable, dit M. Gingras, dont le syndicat prône la tolérance zéro.

Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement, rappelle que pour les classes de jeunes ayant des problèmes de comportement ou des problèmes de santé mentale connus, « le modèle, au Québec, est d’avoir 4 intervenants pour 8 à 10 élèves ».

Les enseignants et éducateurs spécialisés de ces classes sont formés en conséquence et, selon M. Provost, « la solution n’est pas d’ajouter encore plus de personnel ».

« La grande question », dit-il, est la suivante : « Est-ce que tout peut être géré par l’école ? », relevant que certains cas s’éloignent de ce qui peut s’apparenter à de la scolarisation.

« La palette de conséquences n’est pas si large »

Quand il ne s’agit pas d’un problème connu de santé mentale, mais de crises ponctuelles, les directions d’école appuient-elles suffisamment les enseignants ? Y a-t-il de réelles conséquences pour les jeunes dans ces situations ?

Certaines directions peuvent errer par moments, convient M. Prévost, mais il reste que « la palette de conséquences n’est pas si large. On peut retirer l’élève de la classe, exiger une lettre d’excuses – ça, c’est le minimum –, contacter les parents. Le plus loin que l’on peut aller, c’est la suspension de l’élève ».

Dans les cas où l’élève dérape totalement, ajoute M. Prévost, « quand il ne veut pas sortir de la classe, qu’il lance des chaises, par exemple, il faut vider le local ».

Car, comme le rappellent les rapports de la CNESST, si le personnel scolaire est le premier visé dans ces situations, les autres élèves sont à risque et, à tout le moins, témoins impuissants de cette violence.

Comme M. Prévost, Éric Gingras, qui est président d’un syndicat en pleine négociation, reconnaît que sauf en certains endroits où les pénuries peuvent être en cause, les ratios sont adéquats dans les classes spécialisées.

« Techniquement, il y a assez de monde […], il existe des politiques, des codes de vie, etc. »

Sur papier, donc, tout est là. « Mais le problème de violence vient souvent d’un manque d’intervention, aussi bien du personnel, des directions d’école que des centres de services scolaires », estime M. Gingras.

Une enseignante attaquée en pleine classe par son élève

L’enseignante de Laval, âgée de 65 ans, qui a été agressée en pleine classe jeudi par son élève lui demandait de changer de comportement. Légèrement blessée au haut du corps et ayant subi un choc nerveux, l’enseignante a reçu son congé de l’hôpital.

L’agression est survenue à l’école secondaire L’Odyssée-des-Jeunes. L’élève (une fille, selon des témoins) a été arrêtée sur place pour agression armée et elle a été transportée à l’hôpital pour que son état psychologique soit évalué.

« D’autres élèves présents dans la classe ont dû intervenir, et ont fait appel au personnel enseignant pour maîtriser le suspect », indique le Service de police de Laval, qui n’a pu confirmer que des ciseaux aient été utilisés, comme l’ont dit des jeunes.

À Radio-Canada, André Arsenault, président du Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, a expliqué vendredi avoir soumis au centre de services scolaire de Laval un plan d’action contre la violence, dont l’administration n’aurait pas pris acte.

Yves-Michel Volcy, directeur général de l’organisation, a dit en ondes ne pas s’en souvenir.

À La Presse, il a dit avoir confondu avec un autre document et avoir rencontré au moins deux fois le syndicat à ce propos.

En savoir plus
  • 35,7 %
    Pourcentage des lésions professionnelles attribuables à la violence en milieu de travail qui ont été subies par des professionnels de l’enseignement
    SOURCE : CNESST, données de 2022