En 2021-2022, le taux d’absentéisme du personnel des centres de services scolaires du Québec pour cause de maladie a bondi de 29 % par rapport à 2014-2015. En cause : le mal-être psychologique qui met les troupes sur le carreau, et pas seulement les enseignants. Les secrétaires d’école et les concierges sont eux aussi au bout du rouleau.

Les chiffres transmis par la Fédération des centres de services scolaires du Québec (FCSSQ) à la demande de La Presse il y a une semaine révèlent aussi que le taux d’absentéisme pour cause de maladie est à son sommet en dix ans.

Ce sont les femmes qui sont les plus touchées, et ce, dans toutes les catégories d’emploi, sans exception – cadres, professionnels, enseignants et personnel de soutien.

La FCSSQ observe à ce propos que c’est là « une tendance qui remonte à longtemps ».

« Différentes raisons peuvent expliquer le taux d’absentéisme plus élevé chez les femmes que chez les hommes, note l’organisme. Notamment, les femmes ont généralement plus de responsabilités familiales que les hommes en ce qui concerne les enfants et les soins aux membres de la famille, âgés ou malades. »

Pour l’année 2021-2022, les invalidités de nature psychique représentent 57,14 % des absences, et cette proportion augmente un peu plus chaque année, indique la FCSSQ.

Ces statistiques n’étonnent aucunement Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). « Les professeurs prennent beaucoup de médicaments. Comme syndicat, on le sait parce que ça met beaucoup de pression sur les régimes d’assurances. Le réseau scolaire est à genoux. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l’enseignement

Les arrêts de travail pour invalidité qui durent pendant deux ans ou plus ont même augmenté de 25 % ces dernières années.

Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l’enseignement

C’est sur une base volontaire que les centres de services et commissions scolaires anglophones ont fourni leurs données à la FCSSQ. En tout, 58 (sur 72) l’ont fait et ont enregistré 1 082 659 jours perdus sur une possibilité de 26,2 millions de journées travaillées. C’est dire que si les autorités scolaires avaient toutes répondu, le total dépasserait de beaucoup le million de journées perdues.

Enseigner aux enfants, gérer les parents

Pascale Désormeaux sympathise avec tout le personnel mal en point et ne s’étonne nullement de cet absentéisme en hausse. Après 16 ans comme enseignante au primaire, elle a frappé un mur et levé les voiles. Fini l’enseignement. Elle a choisi il y a quelques années de devenir serveuse dans un restaurant dont la propriétaire est elle-même une ex-enseignante qui a eu besoin de changer de vie.

PHOTO FOURNIE PAR PASCALE DÉSORMEAUX

Pascale Désormeaux, ancienne enseignante au primaire

Je n’en pouvais plus de gérer des enfants avec des troubles de comportement et de gérer leurs parents.

Pascale Désormeaux, ancienne enseignante au primaire

Mme Désormeaux évoque cette conversation surréaliste avec un parent outré qu’elle le contacte pour lui parler des problèmes de comportement de son fils. Il lui a carrément dit, se souvient-elle, que lui ne la dérangeait pas quand il avait des problèmes avec son fils à la maison, et qu’en classe, c’était à elle de gérer. Et qu’elle ne s’avise pas de le déranger de nouveau.

« La majorité des parents sont aimables et quand il n’y en a qu’un comme cela, ça va. Mais le problème, c’est l’accumulation. »

Aujourd’hui, elle accepte de faire quelques remplacements à l’éducation aux adultes, mais l’essentiel de ses revenus vient de son métier de serveuse. « C’est moins prestigieux de dire que je suis serveuse, mais j’ai décidé de prioriser ma santé mentale. »

Un effet des pénuries

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), estime que les pénuries sont intimement liées à l’absentéisme.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement

À titre d’exemple, elle raconte que dans le temps où elle était jeune enseignante, les suppléances d’urgence n’étaient à peu près jamais demandées. Aujourd’hui, parce qu’il y a tant de trous à combler et que les listes de rappel sont à sec, elles sont monnaie courante. « Certaines enseignantes en font même tous les jours », fait-elle observer, soulignant que cela s’ajoute au travail qu’elles font aussi les soirs et les fins de semaine.

La suppléance d’urgence est certes rémunérée, et oui, dit-elle, « certaines aiment cela parce que ça leur fait des revenus supplémentaires », mais elles sont également nombreuses à dépasser leurs propres limites.

De peur d’alourdir le fardeau de leurs collègues, plusieurs attendent aussi d’être totalement épuisées avant de se retirer, de sorte que la pente à remonter est d’autant plus raide.

Autre problème : on attend de celles qui reviennent d’un arrêt de maladie qu’elles reprennent le travail la pédale au tapis, si bien que nombreuses sont celles qui retombent vite au combat.

« Il peut y avoir jusqu’à quatre congés d’invalidité d’affilée », fait remarquer Mme Scalabrini.

Les secrétaires d’école et les concierges aussi essoufflés

La grande fatigue des enseignants est souvent mise de l’avant. Mais les chiffres témoignent d’un personnel de soutien particulièrement à bout de souffle.

« Certaines sont secrétaires d’une école de 400 élèves, mais d’autres le sont pour une école de 800 élèves et elles ont le même salaire », note Éric Pronovost, président de la Fédération du personnel de soutien scolaire (CSQ).

Très souvent, ajoute-t-il, « les directeurs d’école sont absents parce qu’ils ont des réunions au centre de services scolaire. La secrétaire est donc souvent laissée seule à gérer les appels de parents et tout le reste ».

Le syndicat du personnel de soutien inclut aussi les techniciennes en éducation spécialisée dont la tâche, ces dernières années, se résume à voler au secours des enseignantes incapables de maîtriser un élève en crise en classe. Normalement, si ces techniciennes étaient assez nombreuses, elles auraient le temps d’agir en amont, en prévention, au lieu d’être tout le temps sur le qui-vive, fait observer M. Pronovost.

Il tient à souligner aussi la fatigue des concierges qui, depuis la pandémie, « ne font pas que nettoyer, mais à qui l’on demande de tout désinfecter ».