La loi doit être modifiée rapidement pour que les clauses d’amnistie contenues dans des conventions collectives de cégeps et d’universités ne puissent plus permettre d’effacer les infractions de nature sexuelle des dossiers disciplinaires du personnel.

C’est ce que plaident une trentaine de syndicats et d’associations étudiantes qui cosignent une lettre à ce propos.

En vertu des clauses d’amnistie très communes dans les conventions collectives, un employé peut voir les réprimandes qu’il a essuyées être effacées de son dossier après un certain temps.

Selon les conventions collectives en vigueur dans les universités de la province, l’amnistie peut être accordée dans certains cas à peine un an ou deux après les faits, dénoncent les signataires de la lettre, selon lesquels il est crucial « de tenir compte des infractions commises dans le passé » quand il s’agit de violence sexuelle.

« L’application des clauses d’amnistie dans le cas d’infractions de nature sexuelle permet donc à une personne de commettre une violence à caractère sexuel, d’attendre son effacement de son dossier disciplinaire après un ou deux ans et de récidiver sans que la sanction à laquelle elle s’expose tienne compte du caractère répétitif des violences dont elle est responsable », font observer les signataires.

Une personne coupable de récidive peut donc maintenir son lien d’emploi avec un établissement d’enseignement supérieur, pour peu que les infractions dont elle est coupable aient été commises à des intervalles d’une durée conforme à sa convention collective.

Extrait d’une lettre cosignée par une trentaine de syndicats et d’associations étudiantes

Radia Sentissi, secrétaire générale de la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal, rappelle que la loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur prévoit pourtant que les sanctions doivent tenir compte de la nature, de la gravité et du caractère répétitif des violences sexuelles.

« Mais comment y arriver, comment prendre en compte le caractère répétitif des gestes, s’il y a amnistie et que tout s’efface du dossier au bout d’un an ou deux ? », demande Mme Sentissi.

« La récidive ne doit pas demeurer impunie », est-il précisé dans la lettre.

Réactions ministérielles

Au cabinet de Pascale Déry, ministre de l’Enseignement supérieur, on indique que « bien que certains établissements aient déjà retiré ces clauses de leur propre gré, on souhaite privilégier une solution négociée avant d’envisager une modification législative. Concernant le réseau collégial, suite à des démarches du Ministère auprès du Conseil du trésor, la question sera abordée dans le cadre des négociations collectives en cours. Toutes les options sont sur la table pour mettre fin à ces dispositions qui sont inacceptables, alors que de nombreux efforts sont déployés pour contrer les violences sexuelles sous toutes leurs formes, et nous invitons les parties à agir rapidement ».

Jean Boulet, ministre du Travail, a pour sa part souligné qu’« au Québec, nous avons une loi pour prévenir les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur, et les clauses d’amnistie vont à l’encontre de l’esprit de cette loi ».

« Nous encourageons les parties syndicales et patronales à revoir leurs pratiques », a-t-il ajouté.

Radia Sentissi n’est pas satisfaite de ces réactions ministérielles qui remettent la responsabilité de tout cela dans la cour des syndicats, alors que légalement, il est du devoir des cégeps et universités de s’assurer que les campus sont sécuritaires.

Selon elle et selon les associations étudiantes signataires de la lettre, c’est au gouvernement de modifier rapidement la loi pour que les violences à caractère sexuel soient explicitement exclues des clauses d’amnistie, dans toutes les conventions collectives des cégeps et des universités.

Interrogé par La Presse, Charles Tremblay Potvin, professeur de droit à l’Université Laval, estime pour sa part que d’un strict point de vue juridique, on a en main au Québec tous les outils nécessaires pour lutter contre la violence sexuelle.

Mais une modification législative, ajoute-t-il, aurait l’avantage à son avis « de rendre cela très clair », en spécifiant par exemple que « dans le contexte de violence à caractère sexuel, le dossier disciplinaire ne peut pas être effacé ».