Devant la « très grande difficulté » de rembourser le don chinois de 550 000 $, l’Université de Montréal conservera l’argent dans ses coffres et l’utilisera pour financer des projets liés à la « connaissance de la démocratie » et à la mobilité étudiante internationale.

L’établissement affirme avoir « évalué toutes les avenues à sa disposition » en raison du « climat d’incertitude » engendré par les allégations entourant le don promis de 800 000 $ – dont le dernier versement de 250 000 $ n’a pas été reçu – et son lien avec le régime chinois, dans une tentative présumée d’ingérence politique.

L’Université de Montréal en est arrivée à la conclusion qu’un remboursement se heurterait potentiellement à des écueils non négligeables, notamment parce que l’opération pourrait aller à l’encontre de dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, souligne en entrevue le recteur de l’établissement, Daniel Jutras.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le recteur de l’Université de Montréal, Daniel Jutras

« On a sollicité un avis juridique pour déterminer dans quelles conditions on pourrait retourner le don. Pour y parvenir, il faudrait obtenir un jugement déclaratoire de la Cour supérieure qui annule le don », explique-t-il. Ainsi, la preuve devrait être faite qu’il existe des motifs pour l’annuler.

Mais la preuve, elle n’est pas facile à trouver. Elle est entre les mains, par hypothèse, nous dit le Globe and Mail, du SCRS [Service canadien du renseignement de sécurité], qui ne va pas partager cette preuve avec nous.

Daniel Jutras, recteur de l’Université de Montréal

Effort vain

Dans le cadre du même contrat, Zhang Bin, l’un des deux donateurs dont le lien avec le régime chinois a été établi, s’engageait à verser avec son partenaire 200 000 $ à la Fondation Pierre Elliott Trudeau.

Celle-ci, qui n’a finalement reçu que 140 000 $, a eu peine à retourner le chèque à son expéditeur, mais l’a finalement fait la semaine dernière. Comment se fait-il que l’Université de Montréal, elle, n’y soit pas parvenue ? « Chacun procède avec les informations dont il dispose », répond le recteur.

Il ajoute que l’établissement a essayé d’entrer en contact avec Zhang Bin, en vain. « On a tenté de le joindre pour qu’il infirme ou confirme les allégations dont on parle depuis des semaines, et on n’a toujours pas de réponse », indique Daniel Jutras, qui n’était pas recteur à l’époque où l’entente est intervenue.

Des courriels issus d’une liasse de documents internes obtenus par La Presse montrent que des membres du conseil d’administration de la Fondation Trudeau s’inquiétaient, au début du mois d’avril, de l’impossibilité pour l’organisation de retourner le chèque à la société émettrice du don.

Un contexte différent

Si le don a plongé l’Université dans l’embarras, le chèque chinois doit toutefois être remis dans son contexte, affirme M. Jutras. « Ça n’avait rien d’inusité. Il y avait énormément d’activité dans les interactions entre le Canada et la Chine, des projets de recherche communs, à l’époque », argue-t-il.

Depuis, la donne a changé : Pékin a détenu arbitrairement les Canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig pendant plus de trois ans, et ses actions menacent la sécurité nationale canadienne. Alors si des donateurs chinois approchaient l’Université en ce moment, « on poserait des questions qu’on n’avait pas à l’époque », dit-il.

Par ailleurs, seules quatre bourses de 10 000 $ puisés dans le Fonds sino-canadien des bourses d’études Bin Zhang–Niu Gensheng, nommé en l’honneur des deux milliardaires chinois, ont été attribuées à des étudiants de la faculté de droit. C’était en 2018.

Depuis, aucune autre bourse n’a été attribuée, le nombre de candidats « étant réduit » et « la pandémie ayant stoppé la mobilité internationale », indique l’Université de Montréal, précisant que le solde du fonds s’établit aujourd’hui à 506 791,89 $.

L’entente, conclue en 2014 à l’initiative du vice-recteur aux affaires internationales de l’époque, Guy Lefebvre, prévoyait également l’érection, au coût de 50 000 $, d’une statue de l’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau sur le terrain de son alma mater.

Le projet ne s’est finalement pas concrétisé. Après évaluation du projet, dont la facture a été d’un peu plus de 3000 $ pour un prototype commandé à un artiste inuit, « il est apparu assez rapidement que le montant ne couvrirait pas les frais d’érection de la statue, donc la question ne s’est pas posée », explique Daniel Jutras.

Avec la collaboration de Katia Gagnon et d’Hugo Joncas, La Presse

Rectificatif
Ce texte a été modifié afin de refléter que le contrat de donation signé par Zhang Bin n'indiquait pas que le don à la Fondation Pierre Elliott Trudeau serait versé par le truchement de l'entreprise Aigle d'or du millénaire.