Le centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) évincera au moins deux centres de la petite enfance (CPE) d’ici la fin du mois de juin 2023. Les directeurs généraux des deux CPE avaient refusé, au cours des dernières années, de fortes augmentations de loyer.

Le centre de la petite enfance Idée Fixe, établi dans le quartier Centre-Sud depuis plus de 40 ans, sera contraint de quitter ses locaux actuels d’ici un an. Propriétaire de l’édifice, le CSSDM lui réclame également des arrérages de loyer pour les quatre dernières années, une somme frôlant les 304 000 $.

À l’échéance de l’ancien bail, en juin 2018, le CSSDM propose un nouveau bail à Idée Fixe d’une durée de cinq ans, qui entrerait en vigueur rétroactivement en date du 1er janvier 2018 et qui se terminerait le 30 juin 2023. Le CSSDM note alors que l’échéance ne pourrait excéder cette date compte tenu de travaux majeurs qui doivent être effectués dans le bâtiment.

Or, le CPE souhaite aussi négocier certaines clauses du bail avant sa signature, notamment une augmentation de plus de 280 % du loyer. De quelque 22 000$ en 2017-2018, Idée Fixe aurait vu son loyer exploser à plus de 76 000$ en 2018-2019 et atteindre 106 000$ en 2022-2023.

Contre-proposition après contre-proposition, quatre ans plus tard, aucune entente n’a été conclue entre les parties, et le CPE occupe toujours les lieux loués bien qu’aucun bail n’ait été signé. Selon le directeur général, Normand Richardson, les augmentations exigées constituaient un un non-sens.

« Nous n’aurions même pas d’argent pour acheter de la pâte à modeler », illustre Sophie Richard, directrice générale adjointe d’Idée Fixe. Selon elle, la survie même du CPE est en jeu.

Afin de démontrer sa bonne foi, même sans bail, M. Richardson procédait néanmoins « à l’augmentation du loyer chaque année, en fonction du taux moyen d’inflation », souligne-t-il.

Photo David Boily, LA PRESSE

Normand Richardson

En avril dernier, Normand Richardson a appris par courriel que le CPE serait évincé de manière permanente d’ici juin 2023. Le CSSDM calcule aussi que le CPE doit acquitter le loyer en souffrance, qui s’élève à une somme de 272 268,93 $, des intérêts qui s’élèvent à 31 637,70 $ ainsi que des factures pour travaux totalisant 6797,33 $.

Idée Fixe n’est pas le seul CPE dans cette situation. Alexis le Trotteur, situé dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, a reçu une lettre similaire du CSSDM. Des arrérages lui sont également réclamés depuis 2018 pour un total, en date du 1er avril dernier, de 140 620,41 $. Sa relocalisation liée à des travaux, d’abord prévue pour deux ans, s’annonce finalement définitive. « L’aspect financier est moins préoccupant que les évictions, car on présume qu’on devrait finir par en venir à une entente avec le CSSDM », relativise son directeur général, Guy Arseneault.

Dans un courriel adressé à La Presse, le CSSDM a écrit ne pas souhaiter traiter de dossiers spécifiques sur la place publique. Il note cependant qu’il n’est pas question « d’éviction unilatérale ou de mise à la rue » et assure être « en constante discussion avec [ses] partenaires ».

Relocalisation difficile

La tâche complexe de trouver un nouvel emplacement qui répond aux normes du ministère de la Famille – grandeur des fenêtres et de la cour, éclairage, terrain non contaminé, nombre de pieds carrés par enfant, etc. – revient aux directeurs généraux.

Si ces deux CPE ne trouvent pas d’emplacement pour se relocaliser, ce sont 160 places qui seront retirées du réseau, au moment où les listes d’attente pour en avoir s’allongent. En avril dernier, La Presse a écrit que le ministère de la Famille avait largement raté sa cible en création de places dans les CPE pour l’exercice 2021-2022.

« Je suis fâchée pour mes enfants, mais aussi pour le Québec tout entier. Les CPE ne sont pas un privilège ; c’est un droit ! Les enfants du quartier ont des besoins spécifiques. Si le CPE est relocalisé, ce sont tous les facilitateurs du quotidien qui nous sont enlevés », s’indigne Cindy Zisa, mère de trois enfants qui fréquentent ou ont fréquenté le CPE Idée Fixe.

Cindy Zisa se demande « quels besoins sont plus importants dans une société qu’un CPE, dont la mission est pourtant dans la même lignée que celle du CSSDM ».

Justification

Le CSSDM n’est pas tenu de justifier la raison de l’éviction ni de statuer sur la vocation future du bâtiment.

Une résolution adoptée en mars 2017 lui permet d’augmenter les tarifs au pied carré en vertu d’une nouvelle grille tarifaire et d’augmenter la superficie totale de 25 % pour les locataires qui partagent des aires communes. Or, le CPE Idée Fixe n’a ni corridors ni toilettes communes avec l’école primaire Garneau, qui lui est adjacente. Idée Fixe conserve donc la même superficie, mais voit son loyer passer de 3,25 $ à 15 $ le pied carré, soit le tarif le plus élevé de la nouvelle grille, celui de la catégorie « entreprises privées, organismes institutionnels et commerciaux ».

De son côté, Alexis le Trotteur a constaté que le CSSDM avait recalculé la surface facturée, pourtant demeurée la même. « En considérant la hausse de la surface facturée et la hausse du coût au pied carré, la proposition du CSSDM représente une hausse de 57 % », déplore Guy Arseneault.

Son parc immobilier étant une précieuse source de financement, le CSSDM a entrepris un grand ménage au milieu des années 2010 dans ses bâtiments qualifiés d’« excédentaires » – ceux qui hébergeaient des organismes communautaires, par exemple.

Largement déficitaire, l’ancienne Commission scolaire de Montréal, devenue le CSSDM en juin 2020, a été mise sous tutelle par Québec l’année dernière.

Une version précédente de ce texte indiquait que la hausse de loyer demandée au CPE Idée Fixe était de 40%. Il s'agissait en réalité de l'augmentation indiquée au bail 2018-2023, qui n'a jamais été signé. Une mise à jour du texte a été effectuée avec la valeur exacte de 280%, qui représente la différence entre la somme payée en 2017-2018 et celle exigée pour 2022-2023.