Le père de Ghislain a fait deux mariages, deux divorces, et il a toujours vécu au jour le jour. Dans ses vieux jours, il a dit à ses enfants: «J'espère que, à ma mort, vous refuserez l'héritage.» C'est ce qu'ils ont fait: leur père est mort avec 60 000$ de dettes.

«On n'a même pas pu toucher son assurance vie puisqu'il avait écrit qu'elle devait revenir à ses héritiers plutôt qu'à ses enfants, nommément. C'est ainsi qu'on n'a même pas eu l'argent pour l'enterrer décemment. Il n'y a pas eu d'exposition au salon funéraire, pas de funérailles, rien. Juste une petite incinération vite faite. Deux ans plus tard, ça me trouble encore.»

Les successions en faillite sont loin d'être exceptionnelles, à entendre Martin Poirier, syndic chez Lemieux Nolet. «Ça l'était quand j'ai commencé, en 1995. Aujourd'hui, c'est courant. Ce qui se passe, typiquement, c'est que, une fois à la retraite, les gens mettent un peu de temps à s'ajuster à leur baisse de revenus. Ils sont donc souvent incapables de payer le solde de leur carte de crédit le premier mois, puis le deuxième. Et quand on n'est pas en mesure de le faire au deuxième mois, il est rare qu'on y parvienne les mois suivants. Ça devient vite un engrenage.»

«Beaucoup de gens nous téléphonent et nous disent: "Mon père vient d'entrer au centre d'accueil, qu'est-ce que je fais avec ses dettes?"» relève pour sa part Clémence Gagnon, conseillère à l'Association coopérative d'économie familiale (ACEF) de Québec.

Voilà qui n'est guère étonnant, dans la mesure où un nombre croissant de non-retraités (32% en 2010, comparativement à 25% en 2007) ne mettent pas d'argent de côté de façon régulière, pas même en prévision de la retraite, selon des sondages réalisés pour l'Association des comptables généraux du Canada.

Dans une analyse de la banque Toronto Dominion, l'économiste Craig Alexander relève: «Historiquement, les gens avaient tendance à ralentir leur consommation en avançant dans la vie. Ils empruntaient dans leurs jeunes années, puis payaient leurs dettes et cherchaient ensuite à économiser en vue de leur retraite. De nos jours, les gens empruntent plus tôt qu'avant et vivent endettés plus longtemps, souvent bien après avoir pris leur retraite.»