La Montreal Maine & Atlantic Railway a obtenu l'autorisation de Transports Canada de n'assigner qu'un seul opérateur à ses trains. Une autorisation peu fréquente qui fait sourciller des observateurs du milieu ferroviaire.

Le train de 73 wagons, qui s'est immobilisé à Nantes quelques heures avant d'exploser au centre-ville de Lac-Mégantic, n'était piloté que par une personne. C'est une pratique de plus en plus répandue aux États-Unis, où des entreprises ferroviaires tentent de réduire leurs coûts d'exploitation.

Au Canada, les principaux transporteurs comme le CN et le CP utilisent des équipages de deux personnes. Le porte-parole du CN, Louis-Antoine Paquin, a d'ailleurs précisé que l'entreprise n'a jamais envisagé de réduire leur taille.

En mai 2012, le grand patron de la MMA, Edward Burkhardt, annonce au Eastern Railroad News, une publication spécialisée, qu'il vient d'obtenir l'approbation de Transports Canada pour l'utilisation d'équipages à une personne. L'implantation d'une technologie de pilotage à distance des locomotives permet la mise en place de ces équipes réduites.

«Bien que nous ayions le feu vert général de Transports Canada, nous devons maintenant compléter la formation et certaines autres étapes avant de complètement implanter le système d'opération à une personne à la grandeur du réseau», déclarait à l'époque M. Burkhardt. Il ajoutait: «C'est un gros projet et je suis très fier de notre personnel pour avoir pris la pôle dans le pays avec cette technologie.»

Cette nouvelle pratique permet à MMA d'augmenter la fréquence des convois, déclare alors l'homme d'affaires. La raison: on prévoit que la raffinerie Irving à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, va importer davantage de pétrole brut par rail.

Irving a confirmé ce week-end que le chargement de pétrole à bord du train de Lac-Mégantic était destiné à ses installations.

«Peut-être qu'à deux personnes, on aurait pu s'assurer que les freins ont été activés effectivement, mais je ne sais pas, note David Jeanes, président de Transport Action Canada, un groupe de citoyens utilisateurs des services de transport. Il y a toujours la possibilité d'erreur humaine lorsqu'il n'y a qu'une seule personne.»

«Son trajet [de la MMA] compte trop de passages à niveau, trop de manoeuvres pour qu'il puisse n'y avoir qu'une seule personne à bord», renchérit Claude Martel, président de l'Institut de recherche sur l'histoire des chemins de fer au Québec.

En entrevue à La Presse, l'homme d'affaires Edward Burkhardt, le grand patron de la MMA, assure que la taille de l'équipage n'y a été pour rien dans la tragédie de Lac-Mégantic.

«Si nous avions eu deux opérateurs de train à bord, ils auraient quand même stationné le train, comme cela s'est produit à Nantes, ils auraient appliqué les freins, puis ils se seraient rendus à l'hôtel pour dormir, a-t-il dit. Qu'ils soient deux ou un, le résultat aurait été le même.»

«Je ne pense pas que s'il y a plus d'un opérateur à bord la sécurité en est améliorée, a-t-il ajouté. Je ne crois pas en ça.»

Questionné sur le fait qu'un seul employé se trouvait à bord du train de Lac-Mégantic, le ministre des Transports, Denis Lebel, a indiqué que l'enquête déterminera si la compagnie respectait les règles.

«Il y a des règles à respecter, a-t-il dit. Nous ne donnons pas l'autorisation en fonction d'une compagnie ou d'une autre, il y a des règles générales.»

Rarissime

Pourtant, selon David Jeanes, seulement deux autres entreprises ferroviaires au Canada ont obtenu l'aval d'Ottawa pour réduire à un le nombre d'employés par convoi. Il s'agit du «O-Train», un train léger qui sert au transport collectif à Ottawa, et le Quebec North Shore & Labrador Railway, qui transporte du minerai de fer de Schefferville à Sept-Îles.

«J'espère entendre l'explication de Transports Canada à ce sujet parce qu'à mon avis, ce n'est pas normal, a indiqué M. Jeanes. À mon avis, il n'y a aucune mesure de sécurité pour assurer cette opération.»

La critique du Nouveau Parti démocratique en matière de Transports, Olivia Chow, estime qu'un second employé aurait peut-être permis de mieux sécuriser le train dans la nuit fatidique de vendredi à samedi.

«Deux personnes n'auraient peut-être pas été en mesure de prévenir le désastre, a-t-elle dit. Mais une deuxième personne aurait pu contre-vérifier que le train était adéquatement immobilisé après l'incendie initial.»

Mme Chow note qu'au Canada, l'implantation des équipages à une personne fait généralement l'objet d'une négociation entre les entreprises et les syndicats. Transports Canada ne fait que ratifier les ententes lorsqu'il y a lieu.

«Transports Canada s'est essentiellement lavé les mains et a dit: "Vous pouvez faire ce que vous voulez"», a-t-elle dénoncé.

Selon elle, le gouvernement fédéral devrait tout simplement interdire la pratique.

Transports Canada n'a pas donné suite aux questions de La Presse, hier.

- Avec la collaboration de Louise Leduc, Hugo Pilon-Larose et Philippe Teisceira-Lessard