Il aura fallu 25 ans au Québec pour regarder et parler de la tuerie du 6 décembre 1989 à Polytechnique pour ce qu'elle est : un crime misogyne. Ce mot a résonné de nombreuses fois hier dans les discours de commémoration. Et de l'avis de nombreux participants et proches des victimes, cette journée de prise de conscience collective aura enfin permis de mettre un peu de baume au coeur.

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La journée de commémoration a débuté vers 13 h devant le pavillon principal de Polytechnique, avant de se poursuivre à la place du 6-décembre-1989 avec les discours des membres du Comité des 12 jours pour l'élimination de la violence faite aux femmes.

«Il y a 25 ans, des femmes étaient tuées parce qu'elles voulaient entrer dans un monde d'hommes. C'était un geste purement misogyne», a déclaré Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec.

Des centaines de personnes ont ensuite traversé le cimetière Notre-Dame-des-Neiges, chandelle à la main. Un peu partout sur le parcours de cette marche aux flambeaux, 14 anges en carton avaient été installés avec les noms de chacune des 14 femmes mortes sous les balles de Marc Lépine Jean-François Larivée ne s'attendait pas à voir autant de monde. Il y a 25 hivers, M. Larivée a perdu sa femme, sa Maryse. «C'est vraiment spécial d'être rejoint par autant de monde, il doit y avoir au moins mille personnes!», dit l'homme souriant, mais les yeux encore humides au terme du parcours, devant le chalet du Mont-Royal.

«Chaque année, je me sens mal deux semaines avant le 6 décembre, je suis impatient, je crie, je pleure. Mais cette année, c'est mieux», dit-il.

Quelques instants auparavant, dans le cimetière, il serrait longuement dans ses bras la députée de Québec solidaire Manon Massé pour la remercier pour son engagement auprès des familles des victimes, des femmes et dans la lutte pour le contrôle des armes à feu. Les deux ont essuyé leurs larmes au terme de l'étreinte.

«On en a fait du chemin, mais il en reste encore beaucoup à faire, la récente campagne #agressionnondénoncée nous l'a rappelé», a souligné la députée qui est membre du comité du spectacle Pour Elles, qui avait lieu hier soir au Théâtre Outremont.

Au cours de la marche, trois féministes se sont transportées en 1989. Sylvie était en première année d'université et était très engagée dans le mouvement étudiant. «J'ai pourtant l'impression d'être passée à côté. On parlait d'un tireur fou, on ne disait pas que c'était un crime misogyne. Je ne me suis pas tout de suite sentie interpellée en tant que femme, je n'avais pas assez de recul.»

Son amie Sylvie se souvient, elle, de sa colère. «On avait un mal fou à se faire entendre, dès que les féministes essayaient de prendre la parole, on se faisait accuser de vouloir récupérer le drame.»

Mais cette année, Alexa Conradi, de la FFQ, sent que son message commence à faire du chemin. «C'est la première année où la société semble reconnaître que le geste était politique, contre des femmes et les féministes», a-t-elle affirmé à La Presse.

Sylvie Haviernick, soeur de Maud qui a été tuée il y a 25 ans, a également déclaré que les commémorations de cette année semblaient avoir touché et conscientisé un plus grand nombre de personnes. «Ça me fait tant plaisir de voir autant de monde, je n'ai plus peur qu'on oublie les victimes», a-t-elle dit.

Une fois au chaud à l'intérieur du chalet du Mont-Royal en fin d'après-midi, plusieurs personnalités politiques ainsi que des témoins et survivants ont partagé leurs témoignages.

Une minute de silence a été observée, puis 14 immenses faisceaux lumineux ont éclairé le ciel à partir du belvédère du chalet, une contribution de l'entreprise québécoise Moment Factory.

Parmi tous les discours prononcés lors de la vigile, l'ancienne première ministre Pauline Marois a notamment été longuement applaudie. Tous ceux qui ont dénoncé l'abandon du registre canadien des armes d'épaule par les conservateurs ont également été chaudement acclamés. Aucun membre du Parti conservateur n'était présent.