Elliott appuie tendrement l'oreille sur le ventre rebondi de sa maman enceinte. Ses deux frères les enlacent. Autour d'eux, les étagères débordent de jouets et de poupées.

La scène est digne d'un studio de photographie. Mais cette image idyllique cache une réalité douloureuse. Comme des centaines de petits Québécois, les trois garçons sont forcés de voir leur maman sous surveillance - le divorce de leurs parents a trop mal tourné.

Depuis un an, toutes leurs interactions sont notées par les intervenants de SOS Jeunesse. Après leur saut à Deux-Montagnes, les trois frères repartent. Et leur mère éclate en sanglots. « À chaque rencontre, c'est le procès de maman. Les enfants la scrutent pour mieux la critiquer. Ils font tout un plat d'une cigarette et rapportent tout à papa », constate la coordonnatrice, Linda Provost.

Son organisme - l'un des services d'échanges et de visites supervisés les plus anciens au Québec - est là pour éviter le pire : que des enfants effacent à jamais un parent de leur vie. Parmi la soixantaine d'enfants envoyés là sur ordre de la Cour supérieure en 2013-2014, dans le cadre d'un litige de garde, un peu moins du tiers sont très contaminés par la hargne d'un parent.

Le parent honni a parfois de réelles lacunes à régler, mais il a parfois été éjecté pour des vétilles ou se débat contre de fausses accusations.

Du fort

Renouer n'est pas facile. Les enfants très influencés répètent des mots d'adultes, « comme des perroquets ». Un garçon de 11 ans clamait que sa mère buvait « du fort ». « Quand on lui a demandé comment il le savait, il a répondu : "C'était écrit du fort sur la bouteille" », dit Linda Provost. Le même enfant disait avoir « lu sur un papier » que si sa mère obtenait la garde partagée un jour, il ne pourrait plus avoir d'amis.

Un autre garçon de 6 ans frappait sa mère dans le ventre et disait que son père et lui en avaient assez de venir la voir. Le petit a refusé une photo d'elle en lançant qu'elle n'était pas belle parce qu'elle avait la peau brune (comme lui...).

Il y a deux mois, un juge a décrété que la mère pourrait bientôt voir son fils sans supervision. Il avait été choqué d'apprendre que le père avait confié à l'enfant « un gros secret » au sujet de sa mère, et que le petit ne pouvait dire de quoi il s'agissait parce que son père « le mettrait à genoux dans un coin, lui donnerait la fessée et lui crierait après ».

En 19 ans, la coordonnatrice a vu d'innombrables techniques de sabotage. « Des mères ne nourrissent pas leur bébé pour qu'il crie et pleure pendant la visite du père ou pour qu'on les rappelle plus vite », dit-elle.

« Une autre se fiche de faire de la peine à sa petite de 4 ans. Elle lui dit : "Les cadeaux qu'il te donne, on ne peut pas les prendre." »

Une troisième exprime son mécontentement en reprochant à sa fille de 10 ans de « trop s'exciter » dans l'auto les soirs de visite et en lui disant que « c'est dangereux ».

Plusieurs enfants changent « catégoriquement de personnalité d'une minute à l'autre », dit Mme Provost. Ils arrivent à reculons, le visage impassible, les bras plaqués le long du corps. « Mais quand le parent gardien est parti, ils galopent dans les bras de l'autre. »

Quand certains parents le découvrent, en lisant plus tard le rapport des intervenants, « ils blâment l'enfant, ils lui reprochent d'avoir eu du plaisir avec l'autre », se désole Mme Provost.

Chantage sexuel

Rappelé à l'ordre, le père d'un garçon de 11 ans levait les yeux au ciel et s'emportait en disant que l'enfant pouvait décider de voir ou non sa mère, alors que les visites avaient été ordonnées par un juge. « On a appris plus tard qu'il faisait du chantage sexuel ! s'indigne Mme Provost. Il exigeait que son ex couche avec lui en lui promettant de laisser l'enfant avec elle une demi-heure de plus en échange. »

Quand les intervenants les prennent en défaut, ces parents se fâchent. « Ils veulent que les enfants nous haïssent comme ils haïssent l'autre parent. »

La mère d'une enfant qui s'était meurtri bizarrement le bras de toutes ses forces lors d'une visite a emmené la petite au poste de police pour qu'elle prétende que les intervenants la battaient. « Tout était manigancé ; la police l'a vu. Mais depuis, le père a très peur que la mère pousse leur fille à inventer qu'il l'agresse. »

Pour la première fois de sa carrière, l'hiver dernier, la coordonnatrice a dû expulser une mère qui la bombardait de lettres d'avocat et sabotait tous les efforts de son équipe. Bouleversée, l'enfant a déclaré : « Linda, tu ne peux plus être mon amie... »

SOS Jeunesse était surtout le seul endroit où la petite de 5 ans pouvait voir son père.

Ne l'appelle pas papa

« Le mot papa est banni. Quand l'enfant vient visiter son père, des mères disent : "Tu lui diras, à lui, là ; tu demanderas au monsieur..." »

La coordonnatrice de SOS Jeunesse, Linda Provost, a déjà reçu plus d'une lettre d'avocat lui ordonnant de respecter ce genre de consigne. Une mère exigeait que sa fille de 4 ans appelle son vrai père « l'ami Fred ».

En visite supervisée, une fillette de 7 ans disait « papa » en parlant du conjoint de sa mère. Elle a déclaré à son père que maman voulait que ce soit comme ça, qu'il n'était plus son vrai père.

Parfois, les nouveaux conjoints en rajoutent, dit Mme Provost. « J'en ai vu un frapper le volant de sa voiture et pleurer à chaudes larmes en apprenant qu'un garçon de 4 ans avait eu du plaisir en visitant son père. Il criait : c'est mon petit, pas le sien ; c'est moi qui l'ai élevé. »

Au fil des mois, certains évoluent. La fille de l'« ami Fred » appelle maintenant son père « papa ». « Et ses parents s'échangent maintenant l'enfant sans notre aide », se réjouit Mme Provost.