Trente-deux psychologues et quatre travailleurs sociaux québécois ont été punis depuis 2001, pour avoir pondu des expertises bâclées ou faussées - qui ont pu causer un «tort irréparable» à des familles éclatées.

Pour décider avec qui vivra un enfant, les juges demandent parfois à être éclairés sur ses besoins et sur les compétences de ses parents. Mais les témoins experts ne sont pas toujours neutres, révèlent les décisions des comités de discipline de l'Ordre des psychologues et de l'Ordre des travailleurs sociaux. Certains fautifs ont fermé les yeux sur ce qui pouvait ébranler leurs conclusions. D'autres ont cru un parent sans vérifier ses dires. D'autres encore se sont placés en conflit d'intérêts, en produisant un rapport alors qu'ils suivaient un parent ou les enfants en psychothérapie.

Un travailleur social a même «épousé la cause de la mère» et «dénaturé complètement» les conclusions d'un autre expert, dit une décision.

En 2006, l'adoption de lignes directrices (rappelant que l'intérêt de l'enfant doit l'emporter) a fait diminuer de moitié les cas problèmes, indique la présidente de l'Ordre des psychologues, Rose-Marie Charest. Toutes proportions gardées, le nombre de dérapages demeure toutefois «alarmant», dit-elle, puisque rares sont les psychologues qui font des expertises en matière de garde.

À noter: presque tous les experts semoncés avaient été choisis et payés par une seule des parties. Les fautes sont bien plus rares lorsque les parents optent pour un expert commun - qu'ils s'adressent au privé ou qu'un juge les ait envoyés au Service d'expertise et de médiation, gratuit, du palais de justice de Montréal.

Ce service a déposé 226 rapports en 2012-2013. «Mais les gens fortunés prennent chacun leur propre expert, on voit ça régulièrement, précise le juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland. Il arrive alors que chaque expert reflète l'opinion [de son client].»

«Monsieur encourage ce conflit en poursuivant le dénigrement de madame», a par exemple décrété l'expert d'une mère vivant en Mauricie. «Madame, malgré les apparences, est encore plus hostile que le père», a rétorqué l'expert de ce dernier.

Cas troublants

Souvent, les juges voient clair. «Il est apparu évident que l'expert [du père] a choisi de se concentrer sur les aspects non fonctionnels de la relation mère-enfant», a dénoncé l'un d'eux cette année, dans une cause concernant un garçon de 6 ans.

La psychologue Francine Cyr se souvient toutefois d'«un cas pur et patent d'aliénation parentale» - à ses yeux comme aux yeux de l'expert mandaté par le tribunal. «Mais la mère a produit une contre-expertise et le juge s'est laissé convaincre. C'est tragique, parce qu'ensuite, on ne pouvait plus rien faire pour cet enfant.»

À Montréal, la Cour supérieure a mis le rapport d'une psychologue sous scellés, parce qu'elle semblait avoir ignoré les balises d'expertise fixées par le juge. Le rapport, payé par le père, concluait que la mère faisait de l'aliénation parentale, alors que la psychologue de l'enfant craignait plutôt que le père n'en fasse. L'experte s'est néanmoins démenée pour remettre son rapport à la protection de la jeunesse et la convaincre de confier la garde à son client. La DPJ a d'abord refusé, «pour ne pas mettre à mal son impartialité». Mais elle a fini par distribuer le rapport controversé à la ronde. «Une fois que les intervenants ont lu des horreurs sur toi, toute leur vision est teintée. Tout ce que tu fais est interprété en fonction de ça», déplore la mère.

«Certains experts sont des missionnaires», estime le psychologue et témoin-expert montréalais Hubert Van Gijseghem. Ils ne sont pas malhonnêtes, dit-il, «mais ils souffrent du biais de confirmation: une fois qu'on est payé par quelqu'un, c'est difficile de ne pas avoir l'oreille plus ouverte à son égard».

«Curieusement», les conclusions des experts rémunérés par une partie rejoignent souvent ses demandes, soulignait déjà en 1999 le Comité sur l'expertise en matière familiale. En octobre 2013, un psychiatre a même osé prétendre que la victime d'un prêtre agresseur sexuel en avait retiré des bénéfices. Il a aussitôt été dénoncé par l'Association des médecins psychiatres, qui a ensuite recommandé que seuls les juges puissent mandater des experts et qu'ils puisent dans une banque préétablie.

Expert unique

Depuis des années, le juge en chef François Rolland prône pour sa part le recours à l'expert unique - un gage de neutralité, de rapidité et d'économies. «L'expertise est une démarche exigeante pour les parents et les enfants, et multiplier les démarches peut alimenter le conflit», ajoute Martine Bouchard, chef du service Expertise et Médiation, rattaché au Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire.

Pour les avocats, le droit de contredire le rapport de la partie adverse est toutefois fondamental. Avec l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile, les parties pourront toujours avoir recours à leurs propres experts si elles s'expliquent au juge. Mais elles devront avoir des motifs valables, assure le juge Rolland, et elles devront se limiter à un expert chacune. «On n'aura pas d'expert unique dans toutes les causes, dit-il, mais c'est déjà une amélioration considérable.»

Pour Rose-Marie Charest, les parents devraient choisir un expert ensemble, avant que leur situation ne s'envenime. «Plusieurs viennent nous consulter avant même de se séparer, tellement ils ne veulent pas faire de mal à leurs enfants. C'est quand la colère les aveugle qu'ils perdent ça de vue.»

Nombre de dossiers de garde et de droits d'accès à la Cour supérieure de Montréal en 2013.