La question des communautés culturelles a occupé pas mal de place pendant cette campagne électorale. Ouvertement ou pas, subtilement ou non (voir la stratégie «pro-ethnique» des conservateurs), tous les partis ont fait la cour aux minorités, dans l'espoir de rafler les votes qui feraient la différence.

À Montréal, cette opération charme ne semble pas avoir convaincu grand monde. Elle a même attisé le cynisme des immigrants, qui trouvent, non sans raison, ce soudain intérêt suspect.

«On s'est sentis plus consultés oui, mais cela a paru un peu artificiel», résume Manjeet Singh, éditeur du Desi Times, journal de la communauté sud-asiatique.

Fini les jours où les nouveaux arrivants étaient facilement impressionnés par l'attention des politiciens. Bien qu'enchantés qu'on s'intéresse à eux, les immigrants restent lucides.

«On est rendus ailleurs. On ne court plus pour se faire prendre en photo avec un ministre. Si tu veux faire quelque chose pour nous, pourquoi tu viens seulement nous voir quand il y a des élections?», siffle Marie Griffith, morning woman et propriétaire de la radio grecque Mike FM.

Même son de cloche chez Donald Jean, éditeur du webmagazine multiculturel Médiamosaïque. Pour cet Haïtien d'origine, il ne fait aucun doute que les minorités ne sont plus aussi faciles à séduire. Depuis l'élection d'Obama en 2008 (victoire partiellement attribuable au «vote ethnique») elles ont aussi - et surtout - compris que leur voix pouvait avoir un impact.

«Il y a certainement une prise de conscience qui n'était pas là avant, affirme M. Jean. Les minorités voient que leur vote a du poids.»

Tout cela fait que l'équation électorale n'est plus aussi simple que par le passé. L'époque où les communautés appuyaient «naturellement» le Parti libéral est révolue. Tout comme celle où les immigrants votaient systématiquement pour des candidats de la même origine qu'eux. Le «vote ethnique» est devenu plus nuancé, moins monolithique et par là même, moins manipulable.

«Ils ont compris qu'une personne de la majorité pouvait aussi bien représenter les gens de la diversité, souligne Donald Jean. Par exemple, je connais des Haïtiens dans Papineau qui votent pour Justin Trudeau, même si Vivian Barbot est aussi dans leur comté.»

Ce sont encore les idées, disent-ils, qui viendront chercher leur vote. Or de ce côté, il semble que les politiciens aient encore manqué le coche. Alors que Donald Jean parle de «promesses génériques», Manjeet Singh déplore que les partis n'aient pas su offrir de solutions concrètes aux vraies préoccupations de l'électorat ethnique. «On a peu parlé du problème des demandeurs d'asile - il y a des réfugiés qui attendent depuis des années qu'on clarifie leur statut. Pas de concret non plus sur le temps d'attente pour la réunification familiale. Et personne ne nous a parlé des programmes fédéraux d'aide aux nouveaux arrivants parce que ceux-ci ne s'appliquent pas au Québec.»

En d'autres mots, les minorités veulent plus qu'un repas tandoori avec Michael Ignatieff, une soirée bouzouki avec Jack Layton ou une séance en costumes folkloriques avec Stephen Haper. Même que ces pirouettes opportunistes risquent surtout de les insulter. Comme le dit si bien Mary Griffith, elle-même d'origine grecque: «C'est pas parce qu'on a un accent qu'on est des moutons qui avancent sans se questionner. On est plus sharp que ce que les politiciens pensent!»

Donald Jean conclut que courtiser des minorités demande une certaine pédagogie, que les grands partis ne maîtrisent pas tout à fait. Surtout quand ils s'y prennent sur le tard. «S'ils veulent lancer un vrai signal, il faudra que leurs tentatives s'étalent sur le long terme. Ça va demander du travail de fond...»