Son père est mort assassiné dans une carrière au nord de New York; son fils, Vito, a été extradé et emprisonné au Colorado; son petit-fils Nicolo a été abattu dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce: le meurtre du vieux Nick semble suivre l'ordre des choses dans l'histoire sanglante de la famille Rizzuto.

Le patriarche ne sortait pas de sa luxueuse demeure de l'avenue Antoine-Berthelet, dans le nord de Montréal, sans son fameux chapeau mou, qui lui donnait l'air d'un gangster des années 30. Petit, trapu, il avait un sourire désarmant. Derrière ce masque se cachait un homme qui vivait du crime depuis sa tendre jeunesse et qui n'hésitait pas à tremper dans les complots les plus sordides.

Bien qu'illettré, il ne manquait pas d'intelligence. Il y a plus de 30 ans, c'est lui qui a habilement manoeuvré pour succéder au Calabrais Vic Cotroni à la tête de la mafia montréalaise. Il a gagné l'appui de la famille Bonanno, de New York, et a réussi à créer un inquiétant réseau d'influence non seulement dans le crime organisé canadien, mais aussi dans certains milieux d'affaires.

Il a délégué une bonne partie de son pouvoir à son fils, Vito. Cela lui a permis de participer activement à l'expansion de la mafia sicilienne dans le monde, notamment au Venezuela, d'où il a conclu des accords avec les cartels colombiens de la drogue.

Nick Rizzuto est né le 18 février 1924 à Cattolica Eraclea, dans l'ouest de la Sicile. Son père, Vito, est mort quelques années plus tard après avoir émigré clandestinement aux États-Unis. Des tueurs l'ont abattu dans une carrière de Patterson, dans l'État de New York: il venait de recevoir son dû pour avoir mis le feu à un bâtiment.

Le jeune Nick s'est rapidement bâti une réputation de brigand. À l'âge de 21 ans, il a épousé Libertina Manno, fille du chef du clan mafieux de Cattolica Eraclea. Il a tenté à son tour d'immigrer aux États-Unis, mais fut refoulé. Il a eu deux enfants, Vito et Maria. La famille a obtenu le droit d'immigrer au Canada et a débarqué à Halifax en 1954.

Montréal, «capitale du vice»

Les Rizzuto se sont dirigés vers Montréal, une ville alors connue comme la «capitale du vice au Canada». Nick a intégré les rangs de la mafia. Un violent conflit a rapidement émergé entre lui et Paolo Violi, un Calabrais qui aspirait à succéder à Vic Cotroni. La police l'a toujours soupçonné d'avoir comploté pour faire assassiner Violi et ses frères, à la fin des années 70.

Mais au moment des meurtres, il était au Venezuela, ce qui lui offrait un alibi parfait. Après cette série d'assassinats, il est revenu à Montréal et s'est fait construire la vaste demeure, avenue Antoine-Berthelet, où il s'est fait assassiner hier soir. Ses voisins immédiats étaient son fils, Vito, et sa fille, Maria, femme de Paolo Renda.

Nick Rizzuto a régné sur la mafia montréalaise pendant des années, sans jamais être arrêté ni accusé de quoi que ce soit, sauf une fois, pour conduite avec les facultés affaiblies par l'alcool. Mais lors d'un séjour au Venezuela, il s'est fait arrêter avec, autour de la taille, une ceinture bourrée de cocaïne, ce qui lui a valu un long séjour en prison. Son fils, Vito, s'est démené, avec succès, pour le faire libérer. Un agent de la GRC a appris par la suite qu'il avait fait remettre un pot-de-vin de 800 000$ à des fonctionnaires.

En août 2006, des policiers escortaient Vito jusqu'à l'aéroport Montréal-Trudeau, où l'attendaient des agents du FBI qui allaient l'emmener aux États-Unis afin qu'il soit accusé d'un triple meurtre. En route vers l'aéroport, Vito a supplié les policiers d'épargner son père, «un vieil homme malade» qui, affirmait-il, n'était impliqué dans aucun crime et dont l'un des derniers plaisirs consistait à boire des expressos avec les clients du club social Consenza, rue Jarry, à Montréal.

Vito ignorait que le Consenza était truffé de micros et de caméras. Depuis son emprisonnement, son père avait pris la tête de la mafia au sein d'un «comité de direction» comprenant Paolo Renda, Rocco Sollecito et Francesco Arcadi. Les caméras l'ont filmé en présence de criminels et d'hommes d'affaires, notamment un important entrepreneur en construction. Des images l'ont montré en train de glisser des liasses d'argent dans ses chaussettes.

Déclin

En novembre 2006, le vieux Nick a été arrêté avec les autres membres du comité de direction et plus de 70 membres et sympathisants de la mafia. Il a passé deux ans à la prison de Bordeaux. En 2008, il a plaidé coupable à deux chefs d'accusation: possession et recel de produits de la criminalité pour les bénéfices d'une organisation criminelle. Il a été condamné à quatre ans de prison, mais les deux années qu'il venait de passer en détention préventive comptaient en double, si bien qu'il a été libéré sur-le-champ.

Soumis à une période de probation de trois ans, il refusait de donner suite aux requêtes qu'on continuait de lui soumettre. Quand un truand ou un homme d'affaires lui demandaient de l'aide, il répondait qu'il ne pouvait rien faire et leur suggérait de s'adresser plutôt à Agostino Cuntrera, autre homme fort du clan sicilien.

Mais Cuntrera s'est fait assassiner en juin dernier. Son meurtre était le dernier d'une série d'événements tragiques qui ont secoué le clan depuis l'arrestation de Vito. Un mois plus tôt, Paolo Renda avait disparu, vraisemblablement enlevé, à peu de distance de sa résidence de l'avenue Antoine-Berthelet. Mais c'est le meurtre du jeune Nicolo Rizzuto, en décembre dernier, qui a créé le plus grand choc.

Lorsqu'il reviendra à Montréal, dans deux ans, Vito Rizzuto retrouvera sa famille décimée. Il est clair qu'il ne pourra pas reprendre le pouvoir qu'il a exercé avec son père pendant trois décennies. Reste à savoir s'il sera lui-même menacé. Le règne des Rizzuto est définitivement terminé.