Brossard est le village global par excellence : près d'une personne sur quatre est immigrée. Alors qu'à Huntingdon, le nombre d'immigrés se compte sur les doigts des mains. Aussi différents soient ces deux coins de la Montérégie, la Charte y suscite des réactions tout aussi épidermiques.

Chez Fatima

À Brossard, la Charte crée beaucoup de confusion et d'ambivalence.

« Je suis totalement contre la Charte. »

Pourquoi ? Parce qu'ici, répond Pierrette Roberge, « on est dans notre Québec. S'ils veulent travailler, ils n'ont qu'à l'enlever, leur voile. On est chez nous, ici ».

Vous êtes en faveur de la Charte, alors ? Pierrette Roberge nous regarde, complètement perdue.

On est ici à Brossard, dans La Pinière, une circonscription représentée jusqu'ici à Québec par la députée Fatima Houda-Pepin, qu'on a vue sur toutes les tribunes pour défendre sa position. Mais laquelle, au juste ?

« Fatima, est-ce qu'elle la veut, la Charte ? », demande Gustavo Esper, lui aussi un peu confus.

Les accommodements

Ce que l'on a retenu de nos conversations de ce jour-là, à Brossard ? Qu'une grande partie des gens qui sont favorables à la Charte le sont d'une part parce qu'ils ne veulent plus voir de niqab ou de burqa ici, d'autre part parce qu'ils en aiment l'idée sous-jacente - voulant qu'il faille vivre comme sa société d'accueil.

« Quand t'arrives quelque part, tu t'intègres, ou sinon, tu repars », lance Gustavo Esper, lui-même né en Argentine.

« Je suis allée au Maroc et j'ai trouvé ça beau, mais là, c'est exagéré, on en voit à tous les coins de rue, dit Manon Pelletier. Ils vivent ici comme dans leur pays, alors que moi, je pense qu'ils devraient s'accoutumer au Canada. Ici, ce n'est pas le Maroc. »

Vous êtes donc d'accord avec l'idée d'interdire aux infirmières et aux enseignantes de porter le voile, par exemple ? « Ah non, moi, personnellement, ça ne me dérange pas d'être soignée par une femme voilée dont on voit le visage. »

Là-dessus, qu'on soit pour ou contre la Charte - ou très ambivalent -, on s'entend. Voir le visage, c'est important. À maintes reprises, dans les conversations, la nécessité de voter à visage découvert a été mentionnée. Ce qui revient aussi en filigrane, même quand on est globalement contre la Charte, c'est cet agacement envers les accommodements, dont on dit qu'ils sont accordés trop généreusement.

Ainsi en va-t-il de Réal Poitras, qui commence par dire qu'il n'interdirait le port de signes ostentatoires qu'aux juges et aux policiers, mais qui en vient rapidement à dire qu'« à Rome, on fait comme les Romains ».

Sarah Levasseur, jeune femme dans la vingtaine, croit aussi que les gens peuvent s'habiller comme ils le veulent. Mais elle ajoute du même souffle : « Franchement, il y a eu des demandes d'accommodement qui m'ont fâchée, qui avaient l'air d'une provocation. »

« Moi, tant qu'on voit le visage, le voile, ça ne me dérange pas, dit pour sa part Jessica Lambert. La religion, ça fait partie des droits de la personne. N'empêche, je suis partagée parce que dans les médias, j'entends les arguments des uns et des autres, et je trouve que les deux camps soulèvent des points intéressants. »

Quoi qu'il arrive, Marie-Pier Bélanger croit pour sa part que ce qu'il adviendra de la Charte nous définira. « Ça sera représentatif de qui on est. »

Au premier chef, cette femme se définit, elle, comme la mère d'une petite fille de 18 mois suivie en cardiologie depuis sa naissance. « Quand il a été question de cette charte, ma première pensée s'est portée sur la résidente en médecine qui soigne ma fille et qui porte le hijab. Si elle partait exercer ailleurs parce qu'on l'obligeait à enlever son voile, on perdrait un excellent médecin. On entend parler partout qu'on manque de médecins et là, on va se débarrasser de certains d'entre eux pour une question de voile ? »

Ce serait dommage, très dommage, selon Mme Bélanger, qui précise cependant avoir elle aussi ses limites : le niqab et la burqa. « À l'hôpital, j'ai aussi dû parler à une infirmière dont on ne voyait que les yeux et je dois dire que c'était très difficile d'interagir avec elle. »

Photo André Pichette, La Presse

«On entend parler partout qu'on manque de médecins et là, on va se débarasser de certain d'entre eux pour une question de voile?», souligne Marie-Pier Bélanger, photographiée avec sa fille Loucie-Ann Santiago.

Une ville divisée

À l'entrée du village, une grosse pancarte. « Politique de repeuplement de Huntingdon ».

Il y a quelques mois, l'ex-maire Stéphane Gendron ne donnait pourtant pas à sa ville la réputation d'un endroit très hospitalier. Furieux de ce que son projet d'attirer là un cimetière musulman ait été reçu froidement par ses concitoyens, il les taxait de racistes.

Huntingdon est-il plus ou moins ouvert qu'un village comparable du Québec, de l'Ontario ou du Vermont ? Et quelle résonance la Charte de la laïcité a-t-elle ici, dans ce climat d'après le gros débat autour du cimetière ?

« En tout cas, ce qu'il faut retenir de ce projet de cimetière, c'est que les gens le trouvaient tout simplement bizarre, commence Sarah Rennie, reporter au journal local The Gleaner. Pourquoi chercher à attirer un groupe précis [des musulmans] de personnes ? Et surtout, si l'idée était de repeupler Huntingdon, n'aurait-il pas été préférable de chercher à attirer des êtres vivants plutôt que morts ? Les gens avaient l'impression qu'on avait pris la question par le mauvais bout de la vie. »

Photo David Boily, La Presse

Des opinions tranchées

Le projet est maintenant mort et enterré - sans mauvais jeu de mots - et la question est depuis lors plutôt taboue, comme l'est souvent toute discussion sur la Charte de la laïcité. Souvent, on préfère ne pas en parler ; souvent, on préfère ne pas donner son nom.

« Vous savez, madame, on a un commerce, nous... », de nous dire une femme dans la soixantaine.

« Si tu t'installes ici, tu suis nos lois, point à la ligne », dira un autre résidant de Huntingdon demandant l'anonymat.

Un homme âgé, à l'opinion très différente, préfère lui aussi taire son nom. « C'est dégueulasse de vouloir interdire le voile. Ça divise les gens pour rien. »

D'autres assument pleinement leur opinion, dans un sens ou dans un autre.

Photo David Boily, La Presse

«Si l'idée était de repeupler Huntingdon, n'aurait-il pas été préférable de chercher à attirer des êtres vivants plutôt que morts?», se demande Sarah Rennie, journaliste au Gleaner à Huntingdon.

Jean-Louis Ricard aime lui aussi cette charte de la laïcité parce qu'ici, « il faut que tout le monde soit égal ».

Pour Paul Massicotte, tout ça, c'est la faute à Pierre Elliott Trudeau et à sa Charte des droits et libertés. « Il nous a mis dans le trouble et là, on est pris avec cela », dit-il.

« Moi, je ferais une loi qui dirait : "Ou bien vous respectez la loi d'ici ou bien vous repartez." »

« Cette Charte, ce qu'elle fait, c'est qu'elle donne carte blanche au racisme, croit au contraire Gavin Johnston. Au lieu de perdre du temps avec des débats comme cela, les politiciens devraient plutôt se préoccuper d'éducation. »

Photo David Boily, La Presse

Gavin Johnston, photographié avec sa conjointe Katherine Hersey.

Yves Beauregard, qui s'est déjà présenté pour le Bloc, se dit d'accord, lui, avec cette charte. « On a toujours demandé aux fonctionnaires d'être neutres. Maintenant, ce qu'on leur demande en plus, c'est simplement d'en avoir l'air. C'est une question de principe. »

Finalement, Huntingdon apparaît très représentatif des sondages en ces temps de charte : hautement divisé, comme le reste du Québec.

La Charte en trois questions

Dans chaque région visitée, La Presse a posé trois questions à un citoyen croisé au gré de ses reportages. À Brossard, nous avons rencontré Yvan Stringer, professeur d'université à la retraite.