Quelle est cette bête rampante, sournoise, qui prolifère en Afghanistan, dans l'ombre? La corruption. Les Canadiens auront bientôt une nouvelle arme pour la dépister et la traquer. La chasse est ouverte.

Les militaires canadiens recevront une forme d'aide-mémoire pratique qui permettra de relever les situations louches et les indices nécessaires aux autorités afghanes pour engager des poursuites. L'idée de confectionner un petit guide juridique émane des officiers de la nouvelle relève, la «Roto 7», constituée en majeure partie des membres du 2e Bataillon du Royal 22e Régiment de Valcartier.

C'est le commandant de l'Équipe de reconstruction provinciale (ERP) de Kandahar, le lieutenant-colonel Carl Turenne, qui a demandé il y a quelques semaines l'élaboration du guide, en conformité avec les priorités du Canada en Afghanistan, telles que le renforcement des institutions en vue de regagner la confiance de la population. Le conseiller juridique de l'ERP, le major Dennis Pawlowski, a donc été sollicité, puisque l'exercice s'inscrit dans l'effort d'établir la primauté du droit.

«Les commandants veulent que les militaires gardent l'oeil ouvert pour ensuite faire rapport aux autorités afghanes compétentes», a-t-il expliqué dans une entrevue à La Presse Canadienne, en début de semaine, au camp Nathan Smith, où est située l'ERP, dans la ville de Kandahar.

«À cet effet, ils doivent toutefois comprendre ce qu'est la corruption en vertu de la loi afghane, ce que sont les éléments de ce crime, comment le dépister et relever les éléments de preuve pertinents, comment les prélever et les préserver pour ensuite les remettre aux autorités afghanes.»

Le major, qui est assistant du juge-avocat général pour la région de l'Atlantique, à Halifax, a presque terminé son guide, qui sera bientôt approuvé par le lieutenant-colonel Turenne.

Dennis Pawlowski s'attend à ce qu'il soit distribué à tout le moins à tous les officiers, voire à tous les militaires en opération, puisque le commandant a demandé à ce qu'il soit facilement compréhensible pour tous les soldats, qui pourraient s'y référer. Ils sont en effet ceux qui sont les plus susceptibles de remarquer quelque chose qui ne tourne pas rond.

«Le gouvernement afghan veut s'attaquer au problème, les procureurs afghans veulent s'attaquer au problème, et nous voulons les assister dans leurs efforts», a résumé le major Pawlowski, qui assure que la corruption endémique n'est pas le seul fait de l'Afghanistan et que beaucoup d'autres pays en sont rongés.

Son guide pourrait-il servir au Canada? s'est-on risqué à lui demander, à la lumière de récents événements politiques.

«Nous pourrions essayer de le mettre en oeuvre au Canada. Vous en savez plus que moi, vous êtes journaliste!» a-t-il lancé à la blague.

La corruption en Afghanistan fait régulièrement les manchettes. Les personnalités politiques sont souvent éclaboussées par des allégations, mais les pratiques de «bakchich» et de pot-de-vin semblent s'être répandues à tous les échelons.

Récemment, un officier canadien affecté au mentorat de la police afghane rapportait que des agents de police préféraient être postés à la circulation, puisqu'ils pouvaient ainsi arrondir les fins de mois en prélevant des droits de passage ou en fermant les yeux sur des infractions.

L'envoyé spécial des États-Unis au Pakistan et en Afghanistan, Richard Holbrooke, a déclaré récemment que la police afghane était «rongée par la corruption».

La police demeure «vulnérable aux accusations de corruption et d'inefficacité» et elle n'a pas la confiance de la population, indique le rapport 2009 de l'OTAN sur l'Afghanistan.

Dans le Livre blanc américain sur l'Afghanistan et le Pakistan, cautionné par le président Barack Obama, on souligne que «l'ensemble de la légitimité du gouvernement afghan est miné par la corruption rampante» et qu'il faudra offrir un mentorat et un soutien de haute qualité, cohérent, à tous les échelons, pour rétablir la légitimité du gouvernement.

De même, le Livre blanc fait ressortir que le commerce de la drogue est la source principale de la corruption. La culture du pavot, qui sert à produire l'héroïne, rapporterait en effet jusqu'à 400 millions $ US aux insurgés afghans, sans parler des profits des trafiquants qui ne sont pas liés aux talibans.

Une enquête d'opinion menée ce printemps par l'Afghan Human Rights Research and Advocacy Consortium révélait que la population afghane se sent de plus en plus menacée et perçoit un recul de ses conditions de vie. Selon le rapport, les Afghans disent vivre dans un pays enlisé dans la violence et la corruption.