«On ne peut même pas vivre notre deuil. Ça fait trois jours que mon père est mort, et les seules nouvelles que j'ai eues à son sujet, c'était pour l'accuser. Pour nous accuser.»

Depuis vendredi, le téléphone ne dérougit pas chez Jean-André Michaud. Des amis, des voisins, des proches et, surtout, des journalistes. Ils ne l'appellent pas pour offrir leurs condoléances. Ils veulent savoir si c'est son père qui aurait été surpris à fumer dans sa chambre par un employé de la Résidence du Havre, le soir de l'incendie, comme l'ont laissé entendre certains médias. Selon ce qu'ils rapportent, sa cigarette aurait pu mettre le feu à l'édifice. Au village, la théorie s'est répandue comme une traînée de poudre.

«On ne sait pas. On ne sait rien, dit l'homme, enragé. On est assez stressés comme ça. Attendez d'avoir des faits avant de dire n'importe quoi. Si c'est vrai, je vais l'accepter. Mais là, même la police ne sait pas.» En point de presse hier, la Sûreté du Québec a d'ailleurs prévenu les médias de se méfier des rumeurs. Trop tard pour M. Michaud et sa famille.

Il nous a accueillis chez lui, hier, pour nous raconter sa douleur. Celle d'avoir perdu subitement son père Paul-Étienne, 96 ans, l'un des plus anciens pensionnaires de l'endroit. Celle, aussi, de voir sa mémoire salie avant même que le corps n'ait été retrouvé. «On n'a pas besoin de ça maintenant. On en a assez à vivre», dit le cultivateur, la gorge nouée par la colère.

Pas sur la liste des rescapés

Jean-André a pris depuis longtemps la relève de la terre à grains familiale qu'on se lègue chez les Michaud depuis plus de cinq générations. Il a appris la tragédie jeudi matin. Il venait de recevoir un coup de fil au sujet de l'incendie et s'était rendu au village afin de constater l'ampleur des dégâts causés par les flammes. «Quand j'ai vu ce qu'il restait de la bâtisse, j'ai eu les jambes molles», confie le colosse.

Il est allé à l'école Moisson-d'Arts, où on accueillait les familles des sinistrés, afin de trouver son père. Il n'était pas sur la liste des rescapés. Sa soeur n'avait pas reçu plus d'information. Il a fallu se rendre à l'évidence.

«Ça fait trois jours que c'est arrivé, et je n'ai eu aucune nouvelle. Personne ne nous dit rien. Rien», s'écrie l'homme en pointant le calendrier accroché sur le mur de sa cuisine. «Tout ce qu'on sait, c'est qu'il est là quelque part en dessous. Mais rien d'autre. Zéro. Les seuls qui sont venus me voir, c'est la Sûreté du Québec, pour me parler de cette histoire de cigarette.»

Les agents lui ont posé des questions dans la foulée de la diffusion d'un reportage à la télé. Ils ont été « bien corrects », dit-il, et lui ont dit que pour l'instant, «ce n'était que des ouï-dire».

Il a beaucoup de peine à croire que son père aurait pu oublier une cigarette fumante dans sa chambre. «Ce n'était même pas un gros fumeur. Il achetait un paquet par semaine et ne fumait pas dans sa chambre.»