Quelle tournure prendrait la couverture médiatique de la crise d'Octobre aujourd'hui? Avec les chaînes d'information continue bien rodées que sont LCN et RDI et l'omniprésence de Twitter et Facebook dans le paysage médiatique, la question mérite d'être posée. Les felquistes twitteraient-ils leurs revendications en 140 caractères? Auraient-ils une page Facebook sur laquelle ils diffuseraient leurs communiqués?

Les médias étaient au coeur de la crise d'Octobre en 1970 comme on a pu le constater dans les reportages présentés la semaine dernière à l'émission Tout le monde en parlait, sur les ondes de Radio-Canada. Les felquistes rêvaient de prendre d'assaut les ondes de Radio-Canada pour diffuser un téléthon révolutionnaire; l'avocat des felquistes, Robert Lemieux, utilisait les médias pour passer leur message entre différentes cellules du FLQ, et chacune d'entre elles misaient sur la compétition que se livraient les médias pour diffuser leurs communiqués. De son côté, Bernard Derome a raconté comment il a vécu avec Claude-Jean Devirieux, «la première expérience de télévision d'information en continue au Canada». «Les caméras étaient installées dans la salle de nouvelles, nous dormions pratiquement sur place», a raconté l'ex-présentateur du Téléjournal qui s'est fait connaître du public à cette époque. Bref, la crise d'octobre n'était pas seulement une crise politique, c'était un événement médiatique.

«La couverture d'un tel événement serait un immense défi aujourd'hui, note Alain Saulnier, patron de l'information de Radio-Canada. Dans ce genre de crise, la rumeur peut prendre beaucoup de place. D'où l'importance d'avoir des journalistes sur le terrain. Chose certaine, il n'y a pas de grande leçon journalistique à tirer de la couverture médiatique de l'époque car les choses ont beaucoup changé. Ce n'est plus du tout le même contexte.»

Le journaliste Guy Gendron, qui anime Tout le monde en parlait, rappelle pour sa part que si les felquistes avaient tenté de contrôler les médias en 1970, c'est parce qu'ils étaient frustrés que le discours souverainiste n'occupe aucune place dans les médias traditionnels. «C'est à peine s'il y avait un entrefilet dans les journaux, rappelle-t-il. Aujourd'hui, c'est complètement différent. À mon avis, les felquistes n'auraient même plus besoin des médias traditionnels pour passer leur message. Ils pourraient utiliser exclusivement les médias sociaux pour faire circuler leurs idées. Regardons seulement ce que fait le Black Block, par exemple. Ils ne souhaitent pas être couverts dans les médias traditionnels, ils communiquent seulement par internet et rejoignent leur monde de cette façon.»

«Les médias officiels n'ont le contrôle que de leur propre média, renchérit Alain Saulnier. Les médias sociaux viennent changer la donne. J'imagine de quelle façon le FLQ aurait pu les utiliser. Il suffit de regarder ce que fait Al Qaeda sur le web pour réaliser à quel point on peut s'adresser directement au public, sans passer par les canaux officiels.»

Les médias sociaux sont donc devenus un outil de communication incontournable sur l'échiquier social et politique: d'ailleurs, tous les partis ainsi que plusieurs politiciens ont un compte Twitter et une page Facebook. Les groupes militants ne sont pas en reste. Un exemple: la page Facebook de Greenpeace Québec compte 4300 fans.

Si le FLQ était actif aujourd'hui, il utiliserait probablement ces outils pour diffuser ses communiqués, pour annoncer ses prochaines actions, ses demandes et ses conditions.

On peut pousser la réflexion plus loin et se demander si le FLQ utiliserait Twitter et Facebook pour recruter de nouveaux membres. Peut-on initier une révolution en 140 caractères?

La question a été posée au lendemain de plus récente révolution iranienne, alors que plusieurs commentateurs ont associé Twitter à la révolte de jeunes Iraniens (plusieurs observateurs de la scène politique iranienne ont par la suite déboulonné ce mythe en rappelant que la mobilisation était l'oeuvre du bouche-à-oreille).

Dans une étude publiée par le Pew Research Center il y a un an, on présentait des données qui confirmaient qu'un tiers des individus actifs sur les réseaux sociaux étaient engagés dans des activités civiques ou politiques. Se joindre à un groupe politique ou devenir «ami» d'un candidat était considéré comme une activité politique.

Il s'agit là d'un geste peu exigeant (il suffit de cliquer sur le bouton J'aime). Qu'en est-il de l'impact des médias sociaux sur l'engagement réel des individus? Là-dessus, les avis sont partagés. Si certains chantent les louanges de Twitter et compagnie, d'autres estiment que leur effet est pour ainsi dire nul. Dernier à s'être prononcé sur la question, l'essayiste américain Malcolm Gladwell réfute l'idée que les médias sociaux peuvent être accessoires à la révolution. Dans l'hebdomadaire The New Yorker cette semaine, l'auteur de Tipping Point et Blink affirme que Facebook et Twitter sont parfaits pour faire circuler les idées et stimuler l'innovation, mais qu'ils reposent sur des liens interpersonnels beaucoup trop faibles pour initier un engagement concret à long terme. Bref, difficile de dire, avec le recul, si le FLQ aurait recruté des membres dans le Québec virtuel. Une chose est certaine, vu leur habile manipulation des médias à l'époque, on peut croire que les felquistes auraient su tirer beaucoup de potentiel des outils médiatiques qui sont aujourd'hui à notre disposition.