Même s'il a été congédié de l'Unité anticollusion (UAC) vendredi, Jacques Duchesneau pourrait continuer de servir les Québécois. Il n'exclut pas de se joindre à la commission présidée par France Charbonneau si elle le lui demande.

L'ancien chef de la police de Montréal connaît la juge Charbonneau depuis très longtemps - du temps où elle était procureure aux assises. Il la tient en haute estime.

M. Duchesneau, maintenant sans emploi, a laissé cette porte ouverte hier en interview avec La Presse.

Il a rencontré vendredi matin le patron de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), Robert Lafrenière. L'unité de M. Duchesneau, l'UAC, a été intégrée à l'UPAC en septembre dernier.

La rencontre a été très brève, raconte M. Duchesneau. Son contrat, qui devait se terminer dans cinq mois, a été résilié pour manque de loyauté. Il ne reçoit pas d'indemnité de départ ni de compensation salariale.

«M. Duchesneau avait fait connaître publiquement son opinion sur la structure et sur le chef de l'UPAC. Dans ce contexte, il était devenu impossible de poursuivre la collaboration avec lui», a expliqué Anne-Frédérick Laurence, porte-parole de l'UPAC.

Lors de l'entretien, M. Lafrenière a cité des déclarations récentes de M. Duchesneau. Dans une entrevue à notre journaliste Michèle Ouimet parue le 30 septembre, il a affirmé: «L'UPAC, c'est pas fort, ils pensent police.»

Il aurait été préférable que l'organisme soit dirigé par un juge à la retraite, a-t-il dit. Quelqu'un ayant une approche pas uniquement répressive, mais entraîné à analyser des systèmes.

Or, M. Lafrenière est un ancien inspecteur-chef de plusieurs services de la Sûreté du Québec. N'est-ce pas normal qu'il l'ait mal reçu? «Ça n'avait rien de personnel avec Robert Lafrenière, répond M. Duchesneau. Dès qu'il a été nommé, je lui ai dit la même chose: ça ne prenait pas un policier. Je n'ai jamais voulu ce poste-là et je ne me voyais pas là.»

Il assure avoir entretenu d'excellents rapports avec M. Lafrenière. «On collaborait très bien. Quand des médias ont écrit que nous étions comme des coqs, on s'est appelés et on en a ri. Je ne renie pas ce que j'ai dit, mais ça n'a rien à voir avec lui, j'ai même vanté ses mérites, mais ce n'était pas dans l'article [de Michèle Ouimet].»

Quand on lui demande si, au fond, avec ses diverses déclarations, il ne préparait pas sa sortie, il nie. «Je trouve dommage qu'on ne puisse pas avoir un débat d'idées. Je regrette de l'avoir offensé, mais je ne lui en veux pas. On aurait pu s'en parler.»

Par ailleurs, il n'était pas en vacances «prolongées». Après un voyage pour le mariage de son fils, il avait été mis à disposition du ministère des Transports pour aider au suivi de ses recommandations. Il y travaillait depuis deux semaines.

Le rapport de l'UAC avait fait l'objet de fuites dans les médias à la mi-septembre. Ses révélations-chocs avaient fortement augmenté la pression sur le gouvernement Charest, qui a fini par déclencher une commission d'enquête. Pour la suite des choses, M. Duchesneau n'a pas encore pris de décision. Il réserve ses commentaires sur la commission, mais si la juge Charbonneau lui demande de l'aider, il y songera sérieusement.

Congédié pour délit d'opinion, dénonce le PQ

L'opposition dénonce unanimement le congédiement de M. Duchesneau. «On connaissait la personnalité de M. Duchesneau, un policier avec une feuille de route irréprochable qui n'a pas sa langue dans sa poche. Et là, on le congédie cavalièrement parce qu'il a dit ce qui devait être dit. Si le gouvernement voulait nuire au travail de l'UPAC, il n'agirait pas différemment», lance Stéphane Bergeron, porte-parole du Parti québécois en matière de sécurité publique. Il rappelle que même si l'UPAC peine à recruter du personnel, elle a refusé, plus tôt cet automne, d'embaucher les enquêteurs de M. Duchesneau. La raison invoquée: ils n'étaient pas fonctionnaires.

«On lui reproche son manque de loyauté. Or, il a fait preuve d'une grande loyauté envers le Québec. On souhaiterait en voir autant de la part de tous les détenteurs de charges publiques, notamment du premier ministre», a ajouté le député de Québec solidaire, Amir Khadir.

Le PQ et Québec solidaire aimeraient que M. Duchesneau travaille à la commission Charbonneau.

L'Action démocratique du Québec rappelle quant à elle que le représentant des policiers de Montréal, Yves Francoeur, a remis en question l'indépendance de l'UPAC, et que des policiers de la Sûreté du Québec ont envoyé une lettre anonyme à La Presse pour se plaindre d'une ingérence politique dans leurs enquêtes. «Et maintenant, on congédie quelqu'un qui n'était pas contrôlable ni manipulable. Il y a quelque chose qui ne fonctionne vraiment pas à l'UPAC», lance la leader parlementaire de l'ADQ, Sylvie Roy.

Le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, n'a pas voulu commenter la nouvelle. «C'est de la gestion des ressources humaines. L'UPAC est autonome, libre et indépendante», a justifié son attaché de presse, Mathieu St-Pierre.