L'absence de Marc Bibeau à la barre des témoins de la commission Charbonneau a suscité la controverse lorsque les audiences publiques ont pris fin cet automne. Ce que l'on ignorait jusqu'à maintenant, c'est que l'ex-collecteur de fonds du Parti libéral du Québec a témoigné sous serment et à huis clos devant les commissaires. La Presse a aussi appris que l'ex-responsable du bureau de circonscription de Pauline Marois ainsi que la défunte Action démocratique du Québec (ADQ) pourraient être blâmés dans le rapport final de la Commission.

La commission Charbonneau a choisi de contraindre à témoigner Marc Bibeau, collecteur de fonds du PLQ et ami personnel de Jean Charest, derrière des portes closes. Mais puisque «ça n'a rien donné», comme l'ont affirmé à La Presse deux sources près du dossier, la Commission a décidé de ne pas le convoquer publiquement.

Selon nos sources, la commission Charbonneau a convoqué Marc Bibeau le printemps dernier afin de connaître son rôle dans le financement sectoriel, c'est-à-dire le financement politique auprès des entreprises. Il a fallu l'assigner à comparaître devant la juge France Charbonneau et le commissaire Renaud Lachance puisqu'il refusait de rencontrer les enquêteurs et les procureurs de la Commission de son plein gré.

La Commission voulait notamment savoir s'il y avait un lien entre l'utilisation de l'enveloppe discrétionnaire dont bénéficient les députés dans leur circonscription et le financement du PLQ. Des témoignages entendus aux audiences publiques ont permis d'établir que M. Bibeau était particulièrement actif auprès des firmes de génie-conseil. Mais les réponses de Marc Bibeau ne seront jamais connues. L'information obtenue à huis clos ne peut pas être considérée comme une preuve et par conséquent utilisée dans le rapport final de la Commission, qui sera rendu ce printemps.

En septembre dernier, un sondage CROP réalisé pour La Presse tendait à démontrer que les Québécois étaient restés sur leur faim quant aux travaux de la commission Charbonneau sur le financement politique. Les Québécois auraient souhaité, dans une proportion de 76%, que la Commission convoque Marc Bibeau à la barre des témoins.

La commission Charbonneau a refusé de confirmer le témoignage à huis clos de M. Bibeau. Le porte-parole, Richard Bourdon, s'est borné à expliquer que le huis clos correspond à un travail de «préenquête». «Personne n'assiste à ces séances à part les commissaires, les procureurs et l'avocat de la personne qui témoigne», a-t-il dit avant d'ajouter que «seule la preuve entendue en public peut servir au rapport».

Dans une décision rendue le 24 mars dernier, les commissaires estiment que ces travaux, menés sans que les avocats des groupes qui ont obtenu le statut de participant et d'intervenant, les médias et le grand public soient mis au courant, ne sont pas des audiences à huis clos, mais plutôt des interrogatoires préalables. La Commission explique que la pertinence de l'information recueillie à cette étape déterminera si «les témoins seront à nouveau assignés».

La comparution de M. Bibeau aurait été peu concluante. «C'est l'un des facteurs qui ont motivé la Commission à ne pas le faire témoigner en public: ça n'a rien donné», affirme une personne proche du dossier.

Même si M. Bibeau n'a pas témoigné publiquement, ça ne veut pas dire qu'il ne pourrait pas faire l'objet d'un blâme dans le rapport de la Commission, si elle le jugeait approprié. Cela dépend essentiellement de la preuve amassée, explique-t-on.

Il a été impossible de savoir si Marc Bibeau a été avisé de l'éventuelle conclusion défavorable de la Commission à son égard. L'avocat de M. Bibeau, Me William Brock, a indiqué à La Presse qu'il ne souhaitait pas faire de commentaires.

Dans un préavis confidentiel que la commission Charbonneau a fait parvenir au PLQ en décembre dernier et que La Presse a révélé, le nom de Marc Bibeau est mentionné. Il pourrait être reproché au PLQ «d'avoir toléré que Marc Bibeau soit présent aux côtés de sa directrice du financement, Violette Trépanier, lors de rencontres avec les députés et ministres du Parti libéral du Québec dans le cadre desquelles elle fixait leurs objectifs de financement», peut-on lire.

Lundi, le PLQ a confirmé qu'il allait se prévaloir de son droit de réplique à la commission Charbonneau. «On étudie actuellement les options qui s'offrent à nous», a dit le porte-parole libéral, Maxime Roy, qui a précisé que le PLQ a obtenu un délai afin de produire sa défense.

Rappelons que Marc Bibeau fait actuellement l'objet d'une enquête de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) relativement au financement du PLQ. Aucune accusation n'a été portée contre lui.

Dans des documents judiciaires utilisés par la police pour obtenir un mandat de perquisition chez Schokbéton, propriété de la famille Bibeau, Marc Bibeau est désigné comme «le grand argentier du PLQ» et «un stratège». Des soupçons pèsent sur lui notamment parce qu'il «suivait les donations des grandes entreprises».

Jusqu'à maintenant, M. Bibeau a toujours soutenu qu'il n'avait sollicité que des individus de son réseau d'affaires dans la grande région de Montréal. Les contributions des entreprises sont illégales au Québec.

Marc Bibeau préside l'entreprise de gestion des Centres d'achat Beauward. Il siège également au conseil d'administration de la Corporation financière Power.

Le vice-président et chef du contentieux de Power Corporation du Canada et de la Corporation financière Power, Stéphane Lemay, nous a référé à un communiqué de presse émis l'an passé par M. Bibeau. Ce dernier affirmait qu'il n'a jamais promis une faveur à qui que ce soit en retour d'une contribution politique.

«Nous apprécions par ailleurs la contribution de M. Bibeau au sein du conseil d'administration de la Corporation financière Power», a dit M. Lemay.

Une responsable du PQ aussi convoquée à huis clos

Outre M. Bibeau, au moins une autre personne a témoigné à huis clos devant les procureurs et les commissaires. Il s'agit de l'ex-responsable du financement sectoriel du Parti québécois, Ginette Boivin. À la différence de M. Bibeau, elle a été appelée à comparaître aux audiences publiques, à la suite d'un témoignage à huis clos plus concluant.

Lors de son témoignage, Mme Boivin a souligné qu'elle n'était pas la grande responsable: «J'étais, comme ils disaient, la cheville ouvrière.» Mme Boivin s'appuyait notamment sur la collaboration de l'entrepreneur Marcel Melançon, ancien associé de Tony Accurso, et de nombreux responsables du développement des affaires des firmes de génie comme Dessau, SNC-Lavalin, Groupe SM, Roche, Génivar (RSW), Groupe Séguin (Génius).

Selon Mme Boivin, les contributions n'étaient pas liées à l'adjudication de contrats, bien qu'elle ait reconnu avoir transmis des renseignements provenant des cabinets ministériels sur les projets à venir.

Le PQ a congédié Mme Boivin après 17 ans de service, à la suite du rapport Moisan (2006) sur le financement illégal. «On m'a fait comprendre que, pour des raisons politiques, c'était mieux pour le parti», a-t-elle expliqué. Par la suite, le Groupe SM a embauché Mme Boivin. Depuis sa comparution à la commission Charbonneau, Mme Boivin n'est plus au service de la firme de génie.

C'est lors de son contre-interrogatoire que sa comparution à huis clos a été révélée.