La commission Charbonneau a utilisé la semaine dernière des extraits d'écoute électronique tirés de l'opération policière Diligence. L'exercice devait servir à cuisiner un témoin récalcitrant. Mais ce faisant, la Commission s'est aussi aventurée sur un terrain où police et milieu judiciaire s'épaulent et se tiraillent depuis 2007, sous l'oeil inquiet du monde politico-syndical.

Diligence comme dans célérité, empressement, zèle, ou comme dans l'expression «faire diligence», parce qu'il faut stopper un problème important. Diligence, c'est le nom d'une vaste enquête de la Sûreté du Québec (SQ) qui a démarré il y a un peu plus de cinq ans et qui s'est penchée sur l'infiltration du crime organisé dans l'économie légale. À l'origine, le secteur de la maçonnerie était le coeur de l'enquête. Un réseau lié aux Hells Angels avait noyauté des entreprises légales et y injectait d'importantes sommes d'argent issu du trafic de drogue. Des arrestations et des accusations ont suivi. Le procès qui implique notamment Normand «Casper» Ouimet a d'ailleurs débuté en janvier.

Il s'agit de la portion publique de Diligence. D'autres éléments restent toutefois méconnus, car en cours d'enquête, les policiers ont compris qu'ils venaient de mettre le doigt sur quelque chose de plus gros et de plus délicat. Une piste peut parfois prendre l'allure d'une toile d'araignée et faire apparaître d'autres enjeux. L'écoute électronique et la filature de quelques joueurs ont donc forcé la SQ à élargir son spectre d'action.

C'est ainsi que le monde syndical et ses accointances politiques sont devenus le nouveau terrain de jeu de Diligence. La situation a été suffisamment prise au sérieux pour que l'équipe d'enquête bénéficie de ressources supplémentaires. Venait ainsi de commencer la deuxième étape de Diligence.

C'est aussi là que les choses se sont compliquées en plaçant sur l'écran radar le Fonds de solidarité de la FTQ, fleuron de l'économie québécoise et détenteur d'un capital d'investissement pour lequel bien des entrepreneurs étaient prêts à se bousculer. Dans les coulisses de la SQ, ainsi qu'au bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) - la structure qui analyse la preuve amassée par les policiers et qui décide de porter ou non des accusations -, on chuchote beaucoup sur la proximité entre la FTQ, le Fonds de solidarité, la Commission de la construction du Québec (CCQ) et certains politiciens, notamment des membres de l'ancien gouvernement libéral.

Que voilà un terrain glissant! L'information recueillie était-elle incriminante? Soulevait-elle des problèmes éthiques? N'était-ce que du bavardage sans conséquence entre amis? Le financement politique était-il au coeur des conversations? Mais, surtout, pourquoi le dossier a-t-il été fermé? Pour l'instant, c'est motus et bouche cousue.

Qu'en est-il exactement? Le deuxième chapitre de Diligence prend l'allure d'une zone d'ombres où rien ne semble franchement noir ou blanc. À l'époque de l'écoute électronique, deux visions semblaient s'affronter, tant du côté de la police que du DPCP: révéler au grand jour un réseau d'influence soulevant des doutes, quitte à écorcher des institutions, ou protéger la sécurité de l'État et ainsi prendre les devants pour détourner les politiciens des pièges ou des tentations qui s'offraient à eux.

Les informations dévoilées

Quelques rares bribes d'informations provenant de Diligence se sont tout de même retrouvées sur la place publique récemment. Ainsi, Radio-Canada faisait état l'été dernier, en pleine campagne électorale, de la filature de l'ancien trésorier de la FTQ-Construction, Eddy Brandone, qui avait mené au premier ministre Jean Charest. Dans les minutes qui avaient suivi la rencontre des deux hommes, les policiers avaient reçu l'ordre de mettre un terme à cette piste. Jean Charest avait rejeté toute responsabilité. «Jamais, jamais, jamais, je ne suis intervenu», avait-il alors affirmé avec force.

Aussi, la semaine dernière, la Commission a confronté l'entrepreneur Giuseppe (Joe) Borsellino, de Garnier Construction, avec de l'écoute électronique tirée de Diligence. Ce témoin hostile s'est retrouvé sur une pente glissante, car ses liens politiques avec l'ancien ministre libéral Tony Tomassi ont été exposés. On a également effleuré la chaude lutte que M. Borsellino livrait à son adversaire Tony Accurso afin d'influencer les choix d'investissement du Fonds de solidarité, ainsi que les tractations de l'entrepreneur avec l'ancien directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, qui mettait à profit sa connaissance intime de l'univers FTQ.

L'épisode a été éclairant. Était-ce le prélude à une utilisation à grande échelle du dossier Diligence qu'a entre les mains la commission Charbonneau? Rien n'est certain. La Commission a beau être indépendante du pouvoir politique, elle n'est pas à l'abri des jeux de corridors et des ambitions qui s'entrechoquent.

Amènera-t-on à la barre des témoins le policier qui était attitré à l'écoute électronique dans Diligence ou les deux responsables de l'opération qui s'y sont succédé (Sylvain Tremblay, aujourd'hui à la retraite, et Denis Morin, jusqu'à récemment à la tête de l'escouade Marteau)? Chose certaine, on ne verra pas témoigner les hauts dirigeants du DPCP qui ont décidé de ne pas aller de l'avant avec Diligence: Me Louis Dionne et Me Yves Paradis ont tous deux été nommés juge par le gouvernement du Québec en 2011.