Les 10 entreprises de construction qui ont contrôlé les travaux d'égouts et de conduites d'eau de la Ville de Montréal entre 2000 et 2008 se sont partagé un total de 175 millions en contrats dont les coûts étaient gonflés par la collusion, selon les données publiées par la commission Charbonneau lors du témoignage de l'ingénieur à la retraite Gilles Surprenant. Elles auraient ainsi floué la Ville de plus de 50 millions.

La Commission a terminé mercredi l'examen des 91 contrats dont les plans et devis ont été réalisés par M. Surprenant, entre 2000 et 2008. Lorsqu'il travaillait pour la Ville de Montréal, cet ingénieur a été le complice d'un système mis en place par des entrepreneurs et a touché, à 87 reprises, des pots-de-vin totalisant 706 000$. C'est 106 000$ de plus que ce qu'il avait estimé au début de son témoignage.

Lundi dernier, M. Surprenant a affirmé que dès la mise en place de ce cartel, au début de l'année 2000, le prix des contrats d'égouts et de conduites d'eau qu'il préparait a bondi de 20 à 25%, par rapport aux années précédentes. Au cours des années qui ont suivi, les ajustements annuels des prix, calculés sur la base de coûts déjà gonflés, ont eu pour effet de faire grimper jusqu'à 30 ou 35% la différence de prix sur les contrats d'égouts entre Montréal et d'autres villes comparables.

En prenant pour hypothèse un surcoût moyen de 30%, attribuable à la collusion, sur les contrats réalisés par ce cartel de 2000 à 2008, la Ville de Montréal et ses contribuables ont payé jusqu'à 52 millions de trop pour la réalisation des 91 chantiers d'infrastructures, qui ont coûté un total de 175,4 millions.

Selon M. Surprenant, seulement 3 des 91 appels d'offres que lui a présentés la Commission mardi et hier n'ont pas été «truqués» ou «arrangés» en faveur d'un membre du cartel, du moins à sa connaissance. Ces contrats ont totalisé 872 000$, soit à peine 0,5% du total.

Par ailleurs, 5 de ces 91 contrats n'ont pas été réalisés par une des 10 entreprises qui formaient le cartel des égouts. Par contre, il s'agissait dans tous les cas d'entreprises liées à des dirigeants du cartel. M. Surprenant a d'ailleurs reconnu avoir touché un pot-de-vin des entrepreneurs Tony Conte, de Conex, ou Domenico Cammalleri, de Construction Mirabeau, à chaque occasion.

Une «police d'assurance»

Toute la journée, devant la Commission, l'ancien ingénieur de la Ville a cherché à minimiser l'importance de son rôle au sein du système de collusion, dont l'emprise était totale sur les contrats de conduites secondaires de Montréal.

Pourquoi ne s'est-il pas tourné vers la police? a demandé la présidente de la Commission, France Charbonneau

«Je pense que ce n'était pas mon rôle à moi, simple fonctionnaire, d'appeler la police pour ça. Mes patrons étaient au courant de la situation et pendant neuf ans, il n'y a pas grand-chose qui a été fait», a-t-il répondu.

Il a par ailleurs affirmé qu'à compter de 2006, sa présence à la division de la réalisation des travaux de la Ville n'était guère plus qu'une «police d'assurance» pour les entrepreneurs. Les contrats avaient des coûts exorbitants sans qu'il ait vraiment à intervenir. Dopé par des années de coûts gonflés, le logiciel de la Ville qui calculait les estimations de coûts, avant la publication d'un appel d'offres, présentait des prix comparables à ceux soumis par les entrepreneurs.

En 2005, quand trois importants contrats d'égouts sur le boulevard Gouin ont été annulés à la suite d'une contestation des estimations de coûts que M. Surprenant avait réalisées, «les entrepreneurs ont réalisé que le système marchait tout seul». Ils n'avaient plus besoin de lui.

«Monsieur 0,4%»



En 2005, le système de collusion mis en place dans les travaux d'égouts à la Ville de Montréal, qui fonctionnait à la perfection depuis déjà cinq ans, s'est temporairement enrayé. Trois importants contrats qui devaient être réalisés sur le boulevard Gouin, dans le nord de la ville, ont été annulés après que des consultants externes eurent contesté les estimations de coûts préparées par l'ingénieur Gilles Surprenant.

De nouveaux appels d'offres pour ces trois contrats ont été lancés un an plus tard. Ils avaient été «arrangés» d'avance par les entrepreneurs et ont été attribués, comme prévu, aux entreprises Garnier, Catania et Infrabec.

Mais plusieurs entrepreneurs du cartel n'ont pas pardonné à M. Surprenant le court dérapage de leur système. Peu après avoir entrepris la réalisation de son chantier de 7,4 millions, Joe Borsellino, dirigeant de Garnier, l'a «convoqué» pour lui annoncer qu'il n'aurait pas un sou de commission. En neuf ans, c'est la seule fois où M. Surprenant a essuyé un refus de payer.

Après l'attribution du deuxième de ces contrats, Pasquale Fedele, un dirigeant de l'entreprise F Catania, l'a convoqué à son tour et a «commencé à l'insulter», à lui dire qu'il n'était rien, et que c'était fini, les enveloppes bourrées de billets. Il l'a rappelé quelques jours plus tard pour lui payer son «cachet»: 10 000$.

Il a également touché 12 000$ de Lino Zambito pour le troisième contrat du boulevard Gouin, pour un total de 22 000$ sur des contrats de 13,6 millions - l'équivalent de 0,16% de la valeur des contrats.

M. Surprenant a continué à toucher des dizaines de pots-de-vin jusqu'à la fin de 2008. Les 87 «pourboires» qu'il a acceptés depuis le début des années 2000 ont totalisé 706 000$.

Selon les compilations de La Presse, cette somme représente 0,4% de la valeur totale des contrats attribués au cartel des égouts en neuf ans.