Le débat sur la laïcité cache un débat sur le voile qui a fini par prendre l'avant-scène hier, à la première journée de la commission parlementaire sur le projet de charte du gouvernement péquiste.

Personne ne s'est interrogé sur «le pourquoi de la propagation récente du voile», a déploré René Tinawi, ex-professeur à l'École polytechnique d'origine égyptienne.

Son mémoire a semblé particulièrement intéresser le ministre responsable du projet de charte, Bernard Drainville. M. Tinawi a montré quatre photos des diplômés en anglais de l'Université du Caire, publiées par la militante anti-islamiste Nonie Darwish. En 1959 et en 1978, aucune femme n'y portait le voile. La majorité d'entre elles le portaient en 1995. Et toutes semblaient être coiffées en 2004.

Le Coran n'exige pourtant pas le port de ce signe religieux, soutient l'ex-enseignant. Il attribue ce retour à la montée des Frères musulmans et de «l'islam politique». Le voile serait selon lui un symbole «d'oppression». Et le tchador, un symbole «intégriste». La députée libérale Fatima Houda-Pepin a déjà fait ce lien au sujet du tchador.

«Toute femme qui porte le voile porte-t-elle aussi un message politique?», a demandé le ministre Drainville. Du bout des lèvres, M. Tinawi a avoué qu'un «faible pourcentage» d'entre elles pouvaient faire ce choix librement.

Plus tôt en après-midi, les élus ont entendu un message contraire de Samira Laouni, première candidate politique voilée dans l'histoire du Québec, pour le NPD en 2008.

Mme Laouni, découverte à la commission Bouchard-Taylor, s'était rendue à Hérouxville pour interpeller les élus. Elle parlait au nom du groupe Communication pour l'ouverture et le rapprochement interculturel (COR).

La recrudescence du port du voile s'explique au Maroc, son pays natal, par la décolonisation, qui a permis un «retour à la spiritualité». Elle a précisé que la situation différait en Arabie saoudite et en Iran, deux pays «complètement dictatoriaux».

Forcer un choix «odieux»

Elle a dénoncé les accommodements «farfelus», comme celui de l'étudiant de l'Université York qui ne voulait pas faire un travail d'équipe avec des femmes. Mais elle refuse «absolument, fermement et catégoriquement» qu'on force des employés de l'État à faire un choix «odieux»: enlever leur signe religieux ostentatoire ou quitter leur emploi. Aucune étude ne prouve que le port de signes religieux serait répandu et poserait problème, ajoute-t-elle. Et le congédiement de femmes les marginaliserait économiquement au lieu de favoriser l'égalité des sexes, a-t-elle poursuivi.

Dans l'espoir de trouver rapidement une «sortie de crise», elle s'est toutefois montrée «ouverte» à l'interdiction des signes religieux pour les figures d'autorité. Mais seulement au nom du respect de l'uniforme plutôt que de la neutralité religieuse. Le ministre Drainville lui a demandé si ce critère ne justifierait pas aussi l'interdiction du port de signes religieux pour les infirmières et d'autres employés de l'État. «Peut-être qu'on finira au Québec par avoir tous un code vestimentaire de Mao Zedong. On se ressemblera tous et toutes, et il n'y aura plus de problème», a-t-elle raillé.

Premier arrivé, premier servi, jusqu'au printemps

Plus de 260 groupes ont déposé un mémoire ou demandé à être entendus en commission parlementaire. Comme les élus ont choisi d'organiser une consultation générale pour étudier le projet de loi, tous peuvent participer. Ils témoignent dans l'ordre de dépôt des mémoires, avec des ajustements en fonction des horaires. Hier, on a notamment entendu Sylvie Bergeron, danseuse, éditrice et coach de vie, parler de «mystique» et de «psychanalyse» du droit, de «l'herméneutique de Dieu» et de l'intuition qui «sous-tend la nature profonde de l'humanité et qui fait de nous des êtres de coeur». Chaque présentation d'un mémoire dure une heure. Le processus devrait s'étirer pendant plusieurs semaines, jusqu'au printemps.