L'ex-conjointe de Martin Couture-Rouleau était tellement inquiète de sa radicalisation qu'elle l'empêchait depuis plusieurs mois de voir leur fils de 3 ans.

Moins d'une semaine avant de commettre un attentat contre deux militaires de l'armée canadienne, l'homme de 25 ans a même entrepris une bataille judiciaire afin de récupérer la garde de l'enfant.

La mère du bambin, dont Couture-Rouleau était séparé depuis plusieurs années, lui aurait refusé depuis le printemps ses jours de garde (ils avaient une garde partagée) et serait allée jusqu'à le priver de tout contact avec son fils. Selon des proches de l'homme, Marie-Pier Labranche s'inquiétait de sa conversion à l'islam et de son comportement de plus en plus radical.

«Son ex, elle ne voulait pas [qu'il le voie]. Il était trop rendu sur la religion», raconte un ami de longue date.

«Lorsqu'il était avec son enfant, la religion passait à côté. C'était un père souriant et content», assure-t-il.

Martin Couture-Rouleau aurait d'ailleurs assuré ne pas avoir l'intention de convertir son fils ou de lui imposer sa religion.

Le 2 octobre, il s'est présenté au bureau de l'avocate en droit de la famille Patricia Gauthier pour «faire respecter ses droits de garde», dit-elle. «Ç'a été une rencontre d'environ 45 minutes où j'ai vu un homme tout à fait ordinaire, à part sa barbe très longue, peut-être. Il était aimable, cordial, très calme et visiblement plein d'amour pour son fiston», se souvient l'avocate.

Le dossier devait procéder devant le tribunal au début du mois de novembre, selon Me Gauthier.

Dans les mois précédant l'attaque, Martin Couture-Rouleau, qui était converti à la religion musulmane depuis avril 2013, avait dit à des amis qu'il songeait à commettre un attentat pour «gagner leur paradis», à son fils et lui.

«Il était rendu intense dans sa religion, il prenait ça à coeur, raconte un proche. Il était devenu vraiment extrémiste. Il priait Allah dans sa cour arrière.»

Le tournant

Selon nos informations, ce sont des problèmes avec son entreprise de nettoyage J.M.T.R. lavage à pression, qu'il a fondée en 2012 avec un associé, qui auraient été l'élément déclencheur de la transformation extrême de celui qui a fini par s'attaquer à deux militaires. L'entreprise ne rapportait pas. Un ancien associé a déclaré que Rouleau avait «tout perdu».

La police s'intéresse d'ailleurs beaucoup aux déboires financiers de Martin Couture-Rouleau. Les enquêteurs croient que ses problèmes d'argent ont pu jouer un rôle dans sa frustration et sa radicalisation.

«Martin, il est passé de gros dealer à musulman d'un coup. Il a tout lâché, confirme un ami. Il avait des bijoux à des prix de fou, une chaîne à 16 000$, des montres à 5000$.»

«Il a [eu des problèmes] avec sa compagnie et il s'est tourné vers l'islam», ajoute un autre.

Depuis plusieurs années, le jeune homme avait aussi eu à composer avec les problèmes d'argent et de santé de sa mère, en proie à de sérieuses difficultés depuis qu'elle avait quitté son père, mais qui demeurait toujours en contact avec ses enfants.

Sa mère s'exprime

Dans un bref échange avec La Presse, cette dernière a décrit son fils ainsi: «Je peux juste vous dire que mon garçon était vraiment la plus gentille personne que vous pourrez jamais rencontrer. Il aidait tout le monde.»

Ces derniers temps, Martin Couture-Rouleau était sans emploi. Il vivait avec son père dans la maison familiale.

«Il ne travaillait plus parce qu'il disait que le gouvernement était un gros complot. Il voulait aller combattre en Syrie», affirme un proche. Le jour du drame, plusieurs amis nous ont confié qu'il était un adepte de théories de la conspiration.

Malgré cela, ils peinent à croire qu'il est vraiment passé à l'acte.

«Je suis sûr qu'il y a quelqu'un qui lui a lavé le cerveau. Il doit avoir été influencé. Je ne peux pas croire que mon chum ait pris cette décision par lui-même», dit un ami de longue date.

Avant lundi, Martin Couture-Rouleau n'avait eu que de légers démêlés avec la justice.

En 2006, il a été épinglé pour conduite avec les facultés affaiblies. Puis, en 2009, il a refusé de respecter une condition imposée par le tribunal, là encore pour une affaire de conduite en état d'ébriété.

- Avec Marie-Michèle Sioui et Vincent Larouche

Étapes d'une transformation

2013

Martin Couture-Rouleau crée le profil Facebook d'Ahmad Rouleau. Sa première publication, effectuée en avril 2013, est une citation du prophète Mahomet: «Dites ce qui est vrai, même si cela est amer et dérangeant pour le peuple.»

1er janvier 2014

Ahmad Rouleau publie une photo sur laquelle il est écrit: «Je suis musulman et je vous invite à joindre l'islam.»

Juin

La famille de Martin Couture-Rouleau alerte la police: le changement de comportement du jeune homme l'inquiète. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) commence à le suivre de près. Il est placé sur la liste des «voyageurs à haut risque».

Juillet

La GRC procède à l'arrestation de Martin Couture-Rouleau, qui s'apprête à s'envoler vers la Turquie, un pays souvent utilisé comme porte d'entrée vers la Syrie. Son passeport est saisi. Le Service des poursuites pénales du Canada estime que la preuve contre le jeune homme est insuffisante. Martin Couture-Rouleau ne fait l'objet d'aucune accusation.

2 octobre

Le père d'un garçon de 3 ans se présente au bureau de l'avocate en droit de la famille Patricia Gauthier pour «faire respecter ses droits de garde».

9 octobre

Martin Couture-Rouleau rencontre des agents de la GRC pour la dernière fois. Au terme d'une longue discussion, il assure qu'il est prêt à changer.

14 octobre

Il dépose une requête pour obtenir la garde partagée de son fils.

20 octobre

Martin Couture-Rouleau fonce sur trois militaires dans un stationnement de Saint-Jean-sur-Richelieu. Dans un appel au 911, il dit agir «au nom d'Allah».

- Marie-Michèle Sioui