Des leaders anti-mesures sanitaires qui ont collectionné les constats d’infraction de 1550 $ pendant la pandémie, en criant haut et fort qu’ils étaient « illégaux » et « inconstitutionnels », risquent de perdre leur maison après avoir été déboutés coup sur coup devant les tribunaux. L’État a commencé à cibler différents actifs pour récupérer son dû, a appris La Presse.

Le Procureur général du Québec a obtenu ces derniers jours des hypothèques légales sur des maisons appartenant à Stéphane Thibault et à Pascal Antonin, deux leaders antimasques et antivaccins notoires qui ont accumulé des dizaines de constats d’infraction pour violation des décrets sanitaires.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Stéphane Thibault lors d’une manifestation de gilets jaunes à Victoriaville, en janvier 2019

Stéphane Thibault, un camionneur de Repentigny qui avait créé le groupe de contestation Gilets jaunes Québec avant la pandémie, a entrepris en avril 2021 une tournée de la province pour défier l’interdiction de déplacements non essentiels entre différentes régions administratives.

Avec sa « Patriote-Mobile », une voiture surmontée d’immenses affiches antivaccins comparant le port obligatoire du masque à de la « maltraitance », il narguait les policiers dans des vidéos qu’il diffusait en direct sur Facebook.

« Esti que c’est l’fun ! Esti qu’ils [les policiers] ne connaissent pas la loi ! », rigolait-il, tout en affirmant que les amendes pour violation des décrets sanitaires étaient « illégales ».

M. Thibault vient de se faire imposer par le Procureur général une hypothèque légale totalisant 11 761 $ sur sa maison de Repentigny, découlant de sept jugements de culpabilité prononcés contre lui pour des infractions à la Loi sur la santé publique, dans trois régions administratives.

À défaut de payer ce qu’il doit, il risque de voir sa maison saisie, et le fruit de la vente pourrait servir au remboursement de ses amendes au terme d’une vente sous contrôle de justice. Le cas échéant, il serait également contraint de payer des frais d’huissier assez élevés.

M. Thibault n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

50 000 $ d’amendes

Pascal Antonin, qui a participé à de nombreuses manifestations avec le militant antivaccin François Amalega Bitondo, s’est aussi vu imposer une hypothèque légale de 14 828 $ sur une maison dont il est copropriétaire à Rivière-Rouge, découlant de neuf jugements défavorables concernant des constats de plus de 1600 $ pour des infractions à la Loi sur la santé publique.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE PASCAL ANTONIN

Pascal Antonin en compagnie du militant antivaccin François Amalega Bitondo

M. Antonin s’est félicité d’avoir reçu au total une trentaine de constats d’infraction pour violation des décrets sanitaires. « Je dois en avoir pour 50 000 $ [et] il est hors de question que je paie quoi que ce soit », a-t-il assuré dans une récente vidéo qu’il a publiée sur Facebook.

Il soutient qu’il n’a aucun salaire qui puisse être saisi, et que son véhicule n’est pas enregistré à son nom.

Je n’ai strictement rien à perdre […] Si ça passe par de la prison, ça passera par de la prison.

Pascal Antonin, dans une publication sur Facebook

Pascal Antonin a refusé de nous accorder une entrevue. La résidence dont il est copropriétaire fait déjà l’objet d’un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire pour non-paiement de prêt hypothécaire, révèlent des documents publics consultés par La Presse.

L’Association des huissiers de justice du Québec (AHJQ) affirme que certains de ses membres ont aussi été mandatés par l’État pour procéder à des saisies de biens meubles, comme des véhicules ou d’autres objets de valeur, pour le règlement d’amendes non payées liées à la COVID-19. Le ministère de la Justice précise qu’il peut également procéder à des saisies de salaire ou de compte de banque contre les récalcitrants, et qu’en « tout dernier recours », il pourrait faire une « demande d’imposition d’une peine d’emprisonnement ».

« C’est du temps et de l’énergie perdus pour les tribunaux, mais le principal perdant dans ce type de démarche, c’est toujours le citoyen qui s’entête à ne pas payer, parce que tous les frais de justice vont finir par être récupérés par le gouvernement », commente Simon Beauchesne-Paquette, président de l’AHJQ.

Contestations rarement fructueuses

Entre le 1er avril 2020 et le 30 novembre 2022, un total de 43 082 constats d’infraction, d’une valeur de 65,2 millions, ont été signifiés pour des infractions à la Loi sur la santé publique, indiquent des données du ministère de la Justice. Le taux de condamnation devant les tribunaux est d’environ 96 %, indique le Ministère.

De nombreux avocats et militants ont tenté de faire invalider ces constats d’infraction en les faisant déclarer inconstitutionnels, sans succès à ce jour. C’est le cas du leader antimasque Mario Roy, qui a échoué cette semaine à faire invalider par la Cour du Québec une amende de 6500 $, qu’il considérait comme une « peine cruelle et abusive », pour avoir organisé un festival de chanson qui a réuni des centaines de participants dans un verger en pleine pandémie.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le leader antimasque Mario Roy, au palais de justice de Montréal en mars 2021

La Cour, se basant sur une décision de la Cour d’appel qui a reconnu la validité des décrets sanitaires en janvier 2022 (l’arrêt Stanislas Bricka c. Procureur général du Québec), a rejeté la demande de M. Roy en affirmant que sa prétention d’atteinte à ses droits fondamentaux était « vouée manifestement à l’échec ». Le procès de M. Roy a eu lieu et il connaîtra son sort au début de 2023.

En janvier prochain, un autre groupe anti-mesures sanitaires très actif pendant la pandémie, la Fondation pour la défense des droits et libertés du peuple (FDDLP), tentera de faire déclarer les décrets sanitaires « nuls et inopérants » et demandera au Tribunal d’ordonner au Procureur général de « prendre tous les moyens raisonnables pour que les citoyens qui ont reçu une contravention […] soient remboursés ». L’argumentaire de la FDDLP est en grande partie basé sur des rapports de scientifiques dissidents européens, dont l’infectiologue controversé Christian Perronne.

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Stéphane Blais, président de la Fondation pour la défense des droits et libertés du peuple

Le président de la FDDLP, Stéphane Blais, assure qu’il a lui-même payé un constat d’infraction qu’il a reçu pour avoir manifesté sans masque lors d’un rassemblement contre les mesures sanitaires. « Tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas de jugement qui nous donne raison, c’est sûr que si on ramasse des dizaines de tickets, il faut être responsable de ses gestes et en assumer les conséquences », a-t-il commenté.

En savoir plus
  • 37 %
    Les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sont ceux qui ont distribué la plus grande proportion de contraventions pour des violations à la Loi sur la santé publique. Alors que 24 % de la population québécoise habite la métropole, c’est 37 % de tous les constats d’infraction de la province qui y ont été distribués.
    Source : ministère de la Justice du Québec