« À Herron, des gens ont failli », a laissé tomber la coroner Géhane Kamel. « Pour le reste, je n’ai pas de reproches à faire. Mais il y a des leçons à tirer de ce qui s’est passé », a souligné la juriste, qui a présenté, jeudi, les conclusions de son enquête sur les décès survenus dans les CHSLD pendant la première vague de la pandémie.

La coroner s’est montrée critique de la gestion de la pandémie au CHSLD Herron, où des « gens se sont lancé la balle ». « Personne n’a pris la situation en charge, que ce soit le Ministère, que ce soit les propriétaires, que ce soit le CIUSSS. Il y a eu beaucoup d’échanges de courriels, mais pendant ce temps, des gens mouraient, des gens étaient déshydratés, des gens étaient dans leurs excréments. » La présidente-directrice générale du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Lynne McVey, a d’ailleurs annoncé son départ, mardi.

Lors de la conférence de presse, l’avocate a également écorché Daniel Paré, qui était le président-directeur général du CISSS de Chaudière-Appalaches lors de la première vague et qui a été nommé directeur de la campagne de vaccination, à l’hiver 2021. Lors de son témoignage devant la coroner, M. Paré a dit qu’il ignorait qu’il y avait des cas de maltraitance et d’insalubrité au Manoir Liverpool.

« Pour moi, c’est un grand mystère encore aujourd’hui, a déclaré Géhane Kamel. Pour moi, c’est impossible qu’il n’ait pas été au courant. Si effectivement il n’était pas au courant, on a un sérieux problème. Avoir des mesures de soutien pour une aussi longue période dans une résidence privée et qu’un PDG ne soit pas au courant, ça me sidère. »

Parmi les 23 recommandations, le coroner assesseur Jacques Ramsay a insisté sur l’importance de convertir les CHSLD privés du Québec en CHSLD privés conventionnés. Grâce à ce changement, le personnel gagnerait le même salaire que les employés de même catégorie ailleurs dans le réseau de la santé.

« Ce n’est pas normal que dans un CHSLD privé non conventionné, on ait des employés qui sont moins payés qu’au Tim Hortons, a dit le DRamsay. En conventionnant, on stabilise la main-d’œuvre, on s’assure qu’on a des gens compétents. »

Les CISSS et CIUSSS pourraient aussi intervenir plus rapidement dans les CHSLD privés conventionnés en cas de crise, a-t-il fait valoir, et les aînés auraient les mêmes conditions de vie, qu’ils soient dans une résidence publique ou privée.

Une crise sans précédent

Géhane Kamel a martelé que le système de santé devait faire preuve de plus d’« agilité ». « S’il devait y avoir une nouvelle crise sanitaire, on doit avoir des gens qui prennent des décisions beaucoup plus rapidement. »

« Vous avez vu le nombre incalculable de directives qui partaient du Ministère et qui allaient vers le terrain. Avant que l’information ne se rende aux gens du terrain, ça pouvait prendre quelques heures, voire quelques jours. Et une directive émise le matin pouvait changer le lendemain et rechanger le surlendemain », a-t-elle poursuivi.

Parmi ses recommandations, la coroner prône une plus grande reddition de comptes des gestionnaires de CISSS ou CIUSSS et du ministère de la Santé et des Services sociaux. Il faut aussi revoir le rôle du directeur national de santé publique, qui agit aussi comme sous-ministre, afin que celui-ci exerce ses fonctions « en toute indépendance et sans contrainte politique ».

Elle affirme qu’il faut accroître les soins à domicile et prévoir des réserves d’équipement en cas de crise. Les proches aidants devraient pouvoir continuer de visiter leurs proches même en situation critique, suggère le rapport.

L’avocate a reconnu que le Québec avait vécu une crise sans précédent. Son « ampleur » et sa « virulence » ont été prises en considération lors de la rédaction du rapport de 193 pages.

Sur une note plus personnelle, Géhane Kamel a affirmé avoir vécu parfois de la peine, parfois de la colère en entendant certains des 220 témoignages.

« Souvent, on se disait : ce n’est pas croyable, ce qu’on entend. On est dans une société qui est dite civilisée et où on a laissé des gens mourir seuls. C’était déchirant », a raconté celle qui refuse systématiquement les demandes d’entrevue des journalistes qui veulent dresser son portrait, car elle ne veut pas porter ombrage aux familles endeuillées.

« L’histoire retiendra malheureusement qu’au Québec, ce sont les aînés hébergés qui ont payé le plus lourd tribut lors de la première vague de COVID, une maladie sournoise aux conséquences dramatiques », a souligné la coroner, en terminant de lire son rapport.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, et la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, ont réagi à la suite du dévoilement du rapport. Ils ont accueilli favorablement les conclusions de l’enquête et ont souligné, dans un communiqué, que certaines des 23 recommandations avaient déjà été mises en place.