(Montréal) Le Québec a connu une explosion de constats d’infraction en lien avec le non-respect des mesures sanitaires, mais rien n’indique que cette approche ait eu un effet positif sur le nombre de cas de COVID-19.

C’est là un des constats auxquels en arrivent quatre chercheuses de l’Observatoire du profilage, rattaché à l’École de travail social de l’Université de Montréal. Elles ont analysé l’émission de constats d’infraction liés aux mesures sanitaires dans la province, entre le 20 septembre 2020 et le 3 octobre 2021.

Leur rapport, rendu public vendredi, indique que 46 563 constats d’infraction liés au non-respect des mesures sanitaires ont été émis durant cette période, soit environ 123 par jour en moyenne, qu’il s’agisse des rassemblements, du couvre-feu, du port du masque, du passeport vaccinal et ainsi de suite.

Elles en concluent que leur rapport « démontre sans équivoque que durant la période étudiée, le Québec a choisi de faire de la crise de santé publique une crise de sécurité publique, gérée 46 563 fois par les corps policiers ».

Une politique qui sème la division

Les auteures sont très sévères par rapport à l’approche du gouvernement Legault. « L’approche privilégiée au Québec pour faire respecter les mesures sanitaires instaurées pour contrôler la transmission du virus de la COVID-19 a été de miser sur la répression policière et l’utilisation du droit pénal. Ceci découle d’un choix politique et non d’une obligation inévitable pour “aplanir la courbe”. »

Cette approche, selon elles, est directement liée aux divisions qui sont apparues durant la pandémie. « L’approche punitive et le discours de répression opposant la “minorité” de personnes récalcitrantes aux mesures à la “majorité” de personnes qui les respectent ont eu pour effet de stigmatiser une partie de la population et de créer une division importante, plutôt que de renforcer la solidarité. »

« Au final, peut-on lire, le discours autour du blâme plutôt que de l’entraide et la compassion peut rapidement s’avérer contre-productif. Sans compter le climat de surveillance qui s’est installé et a été encouragé par la mise en place de systèmes de signalement et de plaintes.

« Rappelons qu’au Québec, le premier ministre Legault a déclaré en conférence de presse, en décembre 2020, avoir lui-même demandé aux corps policiers et à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) de donner plus de constats d’infraction. Ainsi, dans la province, on a puni beaucoup et vite. »

Causalité ou corrélation ?

Le nombre de constats a en effet bondi durant la période du couvre-feu de l’hiver et du printemps 2021, passant d’une moyenne de 206 par semaine à l’automne 2020 à 1093 en janvier, février et mars, puis à un sommet de 2232 durant les mois d’avril et mai.

Les chercheuses ont comparé l’évolution du nombre de cas de COVID-19 durant la même période pour constater que l’émission de constats ne correspond pas à l’évolution des infections. Ainsi, le nombre de nouveaux cas de COVID-19 a atteint un sommet durant la semaine du 28 décembre 2020, alors que le nombre de constats était toujours assez faible. Cependant, le nombre de nouveaux cas a diminué de façon constante durant l’hiver et le printemps 2021, mais le nombre de constats n’a cessé d’augmenter durant la même période, surtout en lien avec le couvre-feu imposé le 9 janvier.

Les auteures du rapport prennent bien garde toutefois de tirer des conclusions sur d’éventuels liens entre les deux. « On peut supposer que la justification pour l’émission de constats d’infraction est de punir et dissuader ceux et celles qui ne respectent pas les règles de santé publique, afin de réduire les contacts et éventuellement le nombre de cas de COVID-19. Nos données ne permettent pas de mesurer l’effet, ou l’absence d’effets, de l’émission de constats d’infraction sur le nombre de cas de COVID-19, ni l’effet dissuasif de l’imposition des sanctions pénales sur les comportements », précise-t-on.

Montréal en tête

Selon cette étude, pour l’ensemble des infractions, la région de Montréal est celle où les constats ont été distribués le plus généreusement, avec un taux de 813,3 par 100 000 habitants, suivie de près par les Laurentides (785,3). Le taux de Montréal représente environ trois fois celui des trois régions où la répression a été la moins forte, en l’occurrence le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie – Îles-de-la-Madeleine et le Nord-du-Québec.

Les chercheuses notent qu’en 2019, donc avant la pandémie, le Service de police de la Ville de Montréal a remis un total de 12 586 constats (en excluant les infractions liées à la sécurité routière), mais qu’en une année de pandémie, 16 476 constats d’infraction en lien avec la COVID-19 ont été donnés dans la métropole.

De façon plus ciblée, près de la moitié (48,4 %) de tous les constats émis au Québec, soit un peu plus de 22 500, ont été émis pour le non-respect du couvre-feu. C’est aussi à Montréal que le couvre-feu a été appliqué le plus sévèrement, avec un taux de 391,3 constats par 100 000 habitants, suivi de l’Estrie (302,3), de la Mauricie (298,9) et de l’Abitibi-Témiscamingue (294,8). À l’opposé, les régions du Nord-du-Québec (100,7 constats par 100 000 habitants), du Bas-Saint-Laurent (107,5) et de la Capitale-Nationale (133,8) ferment la marche.

Les rassemblements dans les résidences privées ont été le deuxième plus important motif d’émission de constats d’infraction, représentant 31,9 % ou 14 856 constats. Dans ce cas, les trois positions de tête sont occupées par les Laurentides, Montréal et le Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Chacun des autres motifs d’émission de constat – dans l’ordre : les rassemblements dans les lieux publics ; les manifestations ; les commerces en infraction ; les établissements licenciés ; le non-respect de la quarantaine ; avoir franchi la frontière Québec-Ontario ; le passeport vaccinal – représente moins de 5 % des constats émis et ceux-ci totalisent, dans leur ensemble, 19,7 % des infractions notées.

Le Québec plus répressif

L’étude invoque également des recherches effectuées par l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) et le Policing the Pandemic Mapping Project (PPMP) qui, dans un rapport de recherche initial publié en juin 2020, ont conclu que 66 % des quelque 10 000 constats émis au Canada entre le 1er avril et le 15 juin 2020, soit durant la première vague de la pandémie, l’ont été au Québec.

Dans un autre rapport comparant les données de cinq provinces canadiennes d’octobre 2020 à février 2021, l’ACLC et PPMP ont constaté que le Québec avait un taux d’émission de constats d’infraction de 0,51 par 1000 habitants, soit loin au-dessus des taux de la Nouvelle-Écosse (0,21), de l’Ontario (0,22), de la Colombie-Britannique (0,28) et juste derrière le Manitoba (0,69).

Les constats d’infraction au Québec s’accompagnaient d’amendes allant de 1000 $ à 6000 $, une peine beaucoup plus dure à encaisser pour les personnes vulnérables ou à revenu modeste. Bien que rien dans le rapport de recherche ne démontre que ces celles-ci aient été davantage ciblées que les autres, les auteures font valoir que « l’impact d’une telle sanction est sans contredit disproportionné pour les personnes à faibles revenus ; une telle amende les exposant même potentiellement à l’emprisonnement pour non-paiement d’amendes si elles n’arrivent pas à montrer qu’elles n’ont pas la capacité de payer ».