La taxe santé imposée par Québec aux personnes non vaccinées passera-t-elle le test des tribunaux ? Si le gouvernement a des motifs solides pour justifier cette mesure sans précédent, sa légalité n’est pas assurée, dit un juriste.

La contribution santé porte une atteinte « grave » aux droits fondamentaux, affirme le professeur de droit à l’Université Laval Louis-Philippe Lampron.

« La colonne vertébrale du droit de la santé, c’est d’accepter ou de refuser un traitement qui [nous] est offert », explique le spécialiste des droits et libertés de la personne.

De la même façon que l’est le passeport vaccinal, la contribution santé est une « mesure punitive » qui « pose des enjeux au niveau du respect de la Charte [des droits et libertés de la personne] » et qui pourrait très certainement être contestée en cour, ajoute-t-il.

Au Canada, une mesure qui contreviendrait à la Charte ne peut être contestée qu’une fois adoptée. Avant que le juge ne rende sa décision, le processus peut prendre jusqu’à un an et demi, selon le professeur.

Parce qu’on ne connaît pas encore les modalités de la contribution ni son montant, il est difficile de prévoir si celle-ci sera jugée légale ou pas. Selon le juriste spécialisé en droit du travail Jérémy H. Little, le « comment » importe autant que le « quoi ».

Tout va dépendre des mécanismes utilisés et des sanctions qui seront imposées. Pour l’instant, il est encore trop tôt pour s’avancer.

MJérémy H. Little, avocat en droit du travail

Par courriel, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse dit avoir pris connaissance de la mesure et prendra le temps d’en analyser la conformité avec la Charte. Selon l’article 9,1, une situation d’urgence peut justifier l’encadrement par le gouvernement de l’exercice des droits et libertés. Toutefois, « cet encadrement doit se faire de façon proportionnelle à la gravité de la situation », précise la Commission.

Des motifs forts

Le gouvernement dispose de motifs forts pour justifier cette mesure exceptionnelle et sans précédent au Québec, fait valoir Louis-Philippe Lampron. D’abord, parce que la mesure doit être jugée en tenant compte du contexte dans lequel elle a été adoptée. Et le contexte actuel, c’est une cinquième vague fulgurante et des hôpitaux engorgés. « L’urgence donne une marge de manœuvre plus grande à l’État qu’en temps normal », affirme M. Lampron.

Le meilleur argument de Québec, selon lui, est les conséquences sociales au refus de se faire vacciner : 45 % des lits aux soins intensifs sont occupés par 10 % de la population, selon les données du ministère de la Santé. Pour passer le test des tribunaux, l’objectif de la loi doit être prouvé suffisamment « réel et urgent » et « proportionnel au moyen utilisé » pour justifier qu’elle restreigne un droit protégé par la Charte.

Est-ce que la solution passe nécessairement par une vaccination à 100 % de la population ? Est-ce que d’autres mesures auraient dû être priorisées avant d’en arriver à celle-ci ? C’est ce type d’arguments qui devront être arbitrés par une cour de justice.

Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l’Université Laval

« Il semble y avoir une voie de passage pour le gouvernement, mais il ne doit pas tomber dans certains pièges », juge Louis-Philippe Lampron.

« Une source de division »

La taxe santé annoncée par Québec a soulevé son lot de préoccupations, mardi. L’Association canadienne des libertés civiles a réclamé des « preuves claires et convaincantes » du gouvernement pour justifier sa proposition.

« Au Canada, nous avons un système de santé publique universel. On n’y inflige pas d’amende aux individus qui font de piètres choix en matière d’alimentation et d’exercice physique, pas plus qu’à ceux qui choisissent un métier ou un loisir à risque élevé », a déclaré la directrice du programme des libertés fondamentales et avocate générale par intérim, Cara Zwibel, par voie de communiqué.

Cette mesure est source de division et finira par punir et aliéner les personnes qui ont peut-être le plus besoin de soutien et de services de santé publique.

Cara Zwibel, de l’Association canadienne des libertés civiles

La Dre Marie-Michelle Bellon s’inquiète aussi que la taxe aux récalcitrants du vaccin les pousse davantage dans leurs tranchées. Pendant les Fêtes, elle a travaillé à l’unité COVID de l’hôpital Notre-Dame, à Montréal. Elle fait remarquer que les personnes non vaccinées sont loin d’être toutes des antivaccins purs et durs. Ce sont aussi des personnes démunies et isolées, sans abri ou sans soutien, parfois craintives du vaccin ou qui souffrent de problèmes de santé mentale. Bref, des communautés marginalisées. Et qui risquent de l’être encore davantage par la taxe santé.

« Ces gens-là, est-ce qu’on ne va pas augmenter leur méfiance envers le système de santé ? Est-ce qu’ils ne vont pas être davantage stigmatisés ? Est-ce que c’est là qu’on veut aller en tant que société ? », se demande la coordinatrice médicale du collectif COVID-STOP, qui espère que la même énergie soit mise sur d’autres enjeux comme la transmission aérienne et la ventilation.

Vers une vaccination obligatoire ?

La contribution santé est-elle une vaccination obligatoire déguisée ? Dans certains pays européens où l’on a imposé la vaccination, comme en Italie et en Grèce, des amendes seront remises aux récalcitrants.

Pour le professeur Louis-Philippe Lampron, Québec s’en rapproche de plus en plus. « On force indirectement une personne qui refuse de se faire vacciner. C’est un pas de plus vers la vaccination obligatoire, mais je ne pense pas qu’on va se rendre jusque-là », dit-il.

Rappelons que la vaccination obligatoire est permise par la Loi sur la santé publique, adoptée en 2001.