Même si Ottawa a annoncé mercredi l’arrivée de dizaines de millions de tests rapides de dépistage de la COVID-19 dans les prochaines semaines, les trousses demeurent difficiles à obtenir pour la population.

Se procurer une trousse de tests rapides est « une aventure incroyable », lance Valérie Beauquier, résidante de Rosemont. « C’est la folie. »

En raison de symptômes de sinusite apparus le week-end dernier, elle voulait faire un autotest pour être certaine qu’il ne s’agissait pas de la COVID-19. Elle raconte avoir essayé de prendre rendez-vous plusieurs fois pour obtenir une trousse à sa pharmacie habituelle. Sans succès. Mme Beauquier s’est alors tournée vers une autre pharmacie, mais les trousses y avaient aussi été toutes écoulées. « Je ne comprends pas pourquoi on a les tests au compte-gouttes, souligne-t-elle. J’ai vraiment l’impression d’être en temps de guerre où il faut faire la file pour avoir du pain. »

Les tests rapides partent « extrêmement vite », explique Martin Chao, propriétaire d’une pharmacie Jean Coutu située rue Beaubien Est. Étant donné qu’il ignore l’heure à laquelle les trousses arrivent chaque jour, le pharmacien fait une publication sur Facebook lorsqu’il les reçoit. Les clients peuvent alors prendre rendez-vous. « C’est le mieux qu’on peut faire pour l’instant », souffle-t-il.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Lors d’un point de presse virtuel tenu mercredi, le premier ministre Justin Trudeau s’est défendu d’être responsable de l’accès difficile aux trousses de tests rapides, faisant valoir que le gouvernement fédéral livrait des millions d’autotests. « Il revient aux territoires et aux provinces de distribuer les tests rapides aux gens pour qu’ils puissent les utiliser », a-t-il affirmé. M. Trudeau a déclaré qu’au total 35 millions de tests seront livrés au cours du mois et que « des dizaines et des dizaines de millions de tests rapides arriveront d’ici quelques semaines ». « Nous savons que les tests rapides font partie de la solution », a-t-il soutenu, rappelant que 85 millions de ces tests avaient déjà été fournis partout au pays.

Québec veut plus de tests

L’annonce du gouvernement Trudeau est une « excellente nouvelle », selon Benoit Morin, président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires. « Ça éclaircit ma journée », s’exclame-t-il. Depuis lundi, environ 1 million de tests sont reçus et distribués chaque jour dans les pharmacies de la province.

Après vendredi, la quantité de tests rapides qui seront envoyés au Québec et la date à laquelle ils le seront demeurent inconnues, précise Hugues Mousseau, directeur général de l’Association québécoise des distributeurs en pharmacie. Dès que ces détails se préciseront, « on sera au rendez-vous pour faire la distribution », assure-t-il.

Avec les 4 millions de tests destinés aux pharmacies qui s’ajoutent aux 6 millions déjà distribués dans les écoles et les garderies, les « 10 millions de tests » promis au Québec par Ottawa sont en train d’être reçus, a précisé Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux, lors du point de presse du gouvernement Legault mercredi. « Mais ça ne nous empêche pas d’en demander plus », a-t-il soutenu en soulignant que les États-Unis étaient « très agressifs » en ce moment sur le marché international des tests rapides. Si le gouvernement fédéral ne peut fournir plus de tests rapidement, « nous allons faire la même chose [que les États-Unis] », a-t-il fait valoir.

« La pression est forte »

En plus de permettre la distribution de tests rapides à tous, l’annonce du gouvernement fédéral permettra de réduire l’anxiété présente dans la population, estime Benoit Morin. « La pression est forte », souligne-t-il. À certains endroits, des propos violents envers les pharmaciens et leurs équipes ont été rapportés, déplore-t-il.

On fait notre possible. On a d’autres choses à faire que ça.

Benoit Morin, président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires

Selon Benoit Morin, la situation des tests rapides se compare à celle des débuts de la vaccination en pharmacie. « Tout le monde voulait se faire vacciner et on n’avait pas beaucoup de vaccins », se rappelle-t-il. La pression se fera sentir jusqu’au 24 décembre, en raison des gens qui veulent s’autotester avant les rassemblements de Noël, estime le pharmacien.

« Un outil essentiel »

Les tests rapides constituent « un outil essentiel pour lutter contre la pandémie », soutient Benoit Morin. Il souhaite donc que la population y ait accès en quantité suffisante et en tout temps.

Les tests rapides doivent normalement être complémentaires aux tests de dépistage PCR, rappelle Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Mais étant donné que les cliniques de dépistage sont débordées, ces trousses en pharmacie peuvent remplacer les tests PCR dans une certaine mesure, soutient-elle.

Pour le moment, le gouvernement du Québec recommande l’utilisation de tests rapides seulement lorsqu’on a des symptômes de la COVID-19. Toutefois, ces tests pourraient devenir des outils du quotidien puisqu’ils permettent de déterminer si une personne est contagieuse, estime Mme Borgès Da Silva. « Si on avait [des tests rapides] de manière illimitée, une personne asymptomatique qui va voir une personne âgée en CHSLD ou qui va assister à un rassemblement familial pourrait et devrait s’autotester », fait-elle valoir.

1900

Nombre de pharmacies où sont distribués les tests rapides au Québec

4,2 millions

Nombre de tests distribués ou en cours de distribution au Québec dans les pharmacies

Source : Association québécoise des distributeurs en pharmacie

Le privé devrait être mis à contribution, plaide une experte

Un peu partout au Québec, les cliniques de dépistage ont été prises d’assaut dans les derniers jours, avec des files d’attente de plusieurs heures. Bon nombre de personnes ont été refusées à leur arrivée, la capacité maximale ayant déjà été atteinte pour la journée. Selon Marie-Pascale Pomey, experte en politiques publiques à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, il vaudrait peut-être la peine d’envisager à l’avenir une plus grande collaboration du privé. « Dans certains laboratoires privés, il y a encore beaucoup de place et d’espace, mais il faut que les gens paient, fait-elle valoir. Il devrait y avoir des corridors de service ouverts au privé qui sont pris en charge par le public, ou du moins on devrait penser à une collaboration beaucoup plus étroite. » Si l’épidémiologiste Nimâ Machouf abonde dans ce sens, elle soutient, tout comme Mme Pomey, qu’il n’y a pas de « solution miracle » aux files d’attente devant les centres de dépistage. « On n’a plus de ressources, et ces ressources sont à bout de souffle, dit Mme Machouf. Il faut collectivement qu’on réduise le contact, et le reste, c’est le temps qui le fera. » À certains endroits, des tests rapides sont distribués dans les files d’attente pour le dépistage, note-t-elle. « C’est une très bonne idée », remarque Mme Machouf, qui est aussi membre du collectif COVID-Stop, regroupant des médecins et des scientifiques.

Henri Ouellette-Vézina, La Presse