Tout comme d’autres acteurs du gouvernement avant elle, l’ex-ministre de la Santé Danielle McCann a affirmé jeudi qu’il avait été demandé dès janvier 2020 aux PDG des établissements de santé du Québec de préparer leurs plans de lutte contre la pandémie, y compris dans leurs CHSLD, en prévision de la venue de la COVID-19. Or, des procès-verbaux de réunions tenues en janvier et en février ne font pas mention du fait que le réseau a reçu cette consigne si tôt, a exposé jeudi l’avocat Patrick Martin-Ménard, qui représente des familles de personnes décédées en CHSLD.

Aujourd’hui ministre de l’Enseignement supérieur, Mme McCann témoignait jeudi matin à l’enquête publique du coroner sur les décès survenus en CHSLD durant la première vague de la pandémie de COVID-19. Comme le directeur national de santé publique, le DHoracio Arruda, l’avait fait lundi, la ministre McCann a affirmé que Québec était conscient dès janvier que les personnes de 70 ans et plus, surtout celles en CHSLD, seraient plus vulnérables au virus.

La coroner Géhane Kamel a dit que son « impression » était pourtant que « la préparation en CHSLD n’a pas été au rendez-vous ». « La préparation appartenait à qui ? », a demandé la coroner. « Aux PDG », a répondu Mme McCann.

Mercredi, le sous-ministre à la Santé de l’époque, Yvan Gendron, avait lui aussi expliqué que la responsabilité de préparer les CHSLD appartenait aux PDG des CISSS et CIUSSS, et que le mot d’ordre de se préparer leur avait été transmis dès janvier.

C’est ce qui était dit depuis janvier. Préparez les plans partout.

Danielle McCann, ex-ministre de la Santé

Selon la ministre, les PDG devaient donc prévoir « tous les volets qui sont inclus dans le plan ». « Avoir des équipements dans les CHSLD, avoir aussi du personnel », a-t-elle dit.

Pas de trace dans les procès-verbaux

Le 22 janvier 2020, une réunion du Comité de gestion du réseau, une instance regroupant notamment la ministre de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et des représentants de tous les CISSS et CIUSSS de la province, a eu lieu. Mme McCann y participait, de même que le DArruda et M. Gendron. MMartin-Ménard a souligné que nulle part dans le procès-verbal de cette réunion on ne fait mention du fait que les établissements doivent mettre à jour leurs plans de lutte contre la pandémie. Ce n’est que dans le procès-verbal du 26 février 2020 qu’on peut lire qu’« étant donné la hausse du nombre de cas de personnes infectées par le coronavirus […] la sécurité civile et le MSSS seront dorénavant en mode préparatoire à une pandémie ».

Le procès-verbal de la réunion du Comité de gestion du réseau du 9 mars 2020 indique aussi qu’on a décidé de « procéder à une mise à jour du plan de lutte à la pandémie élaboré pour le H1N1 et d’ajouter une annexe dédiée à la COVID-19 ».

Me Martin-Ménard a demandé à Mme McCann s’il se pouvait que les demandes de mise à jour des plans de lutte contre la pandémie aient été faites non pas en janvier, mais plus tard. Mme McCann a répondu, « de mémoire », que cela avait été fait dès janvier. Me Martin-Ménard est revenu à la charge à quelques reprises, soulevant une opposition de la procureure qui représente le Ministère.

La coroner a estimé qu’éclaircir cet aspect était important.

Je veux bien que les PDG portent leurs responsabilités. Pour autant que la responsabilité ait été mentionnée aux PDG.

La coroner Géhane Kamel

En fin de séance jeudi midi, les procureurs du ministère de la Santé et des Services sociaux ont déposé une lettre, datée du 28 janvier 2020, dans laquelle on rappelle à tous les « coordonnateurs de sécurité civile des établissements » de santé les « attentes ministérielles » à leur égard. Nulle part on ne leur demande spécifiquement de préparer leur plan de lutte contre la pandémie. On écrit toutefois qu’ils doivent « veiller à ce que l’information circule de façon fluide » dans leur établissement. On indique la boîte courriel du « canal de communication instauré par le MSSS pour l’opération ». On précise que cette boîte courriel « englobe généralement les convocations officielles du MSSS » et « la documentation de référence pour la conduite de l’opération et les mises à jour ».

Aucun rapport détruit

De passage devant la coroner lundi, la sous-ministre adjointe Natalie Rosebush avait expliqué que des visites de contrôle avaient été effectuées dans 2600 milieux de vie pour aînés du Québec lors de la première vague de la pandémie. Ces visites avaient été lancées à la suite du drame survenu au CHSLD Herron. L’objectif était essentiellement d’aller vérifier si le personnel était suffisant et si les mesures de prévention et de contrôle des infections étaient appliquées.

Mme Kamel avait demandé à consulter les rapports de ces visites. Mme Rosebush avait répondu qu’elle ne savait pas si une telle chose serait possible puisque les conclusions de ces visites étaient surtout transmises verbalement. Par ailleurs, il y avait eu plus d’une visite dans certains milieux et Mme Rosebush avait expliqué que les versions antérieures des constats étaient alors « écrasées » dans le système informatique.

Mercredi, la cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade, a critiqué la « destruction de ces rapports » et suggéré que les inspecteurs du Ministère soient entendus par la coroner.

Au cabinet de la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, on affirme qu’« aucun rapport n’a été détruit ». En tout, 11 512 visites ont été effectuées dans les 2600 milieux de vie. Lyann St-Hilaire, du cabinet de Mme Blais, affirme que dans l’urgence de la situation, l’important « n’était pas de faire des rapports, mais bien d’assurer le bien-être des personnes hébergées ». Mme St-Hilaire indique que les constats pour les CHSLD visés par l’enquête de la coroner (Herron, des Moulins, René-Lévesque, Laflèche, Yvon-Brunet, Sainte-Dorothée) ont pu être retrouvés et seront soumis à Mme Kamel.

La télémédecine pas pour les CHSLD

Quand elle a permis l’usage de la télémédecine au début de la pandémie, Mme McCann voulait surtout permettre aux médecins de première ligne de limiter leurs contacts avec la population. « Dans mon esprit, ce n’était pas pour les CHSLD », a dit l’ancienne ministre de la Santé, jeudi matin.

« On avait besoin de la présence d’un médecin en CHSLD pour savoir si on transférait ou non des personnes à l’hôpital », a expliqué Mme McCann. Elle a rappelé que selon des données du ministère de la Santé, seulement 6,3 % des actes facturés en CHSLD durant la première vague avaient été réalisés en télémédecine. La coroner Géhane Kamel a indiqué que depuis le début de son enquête, « on est tombé dans le 6,3 % ». À l’exception du CHSLD Laflèche, où les équipes médicales sont restées en place, les établissements auxquels la coroner s’est intéressée, dont le CHSLD Herron, ont plutôt vu leurs médecins quitter les lieux en mars 2020 et se tourner vers la télémédecine.

L’importance du lavage des mains

Sous-ministre adjoint à la Direction générale de la coordination réseau et ministérielle au ministère de la Santé et des Services sociaux, Daniel Desharnais a expliqué jeudi après-midi que même avant la pandémie, il était ardu de faire respecter dans certains établissements les bonnes pratiques en matière de prévention et de contrôle des infections.

Le taux de conformité aux pratiques exemplaires d’hygiène des mains était par exemple de 70 % en 2019-2020 dans le réseau de la santé, alors que la cible du gouvernement était de 80 %. Dans certains établissements, ce taux était de 49 %, a souligné M. Desharnais. « Le lavage des mains est à la base de la prévention et [du] contrôle des infections. On voit que c’est une culture qui est dure à changer », a-t-il dit.

M. Desharnais a été engagé en avril 2020 pour aider à sortir les CHSLD de la crise et pour les préparer à faire face à la deuxième vague de la pandémie. Avant d’occuper ses fonctions actuelles, M. Desharnais avait été chef de cabinet du ministre de la Santé Gaétan Barrette, qui a mené la réforme de 2015. Cette réforme a été montrée du doigt par la ministre McCann, jeudi matin.

Mme McCann a souligné que près de 2000 gestionnaires avaient quitté le réseau en 2015. « Il en manquait en CHSLD », a-t-elle dit. Selon Mme McCann, les compressions de 2015 « ont fait très mal ». « Il n’y avait pas de gestionnaire de niveau hiérarchique suffisant et qui était dévolu à un CHSLD. Qui voit à ses troupes ? Qui les encourage ? Qui s’occupe de l’information ? Ç’a été pour moi un facteur majeur », a-t-elle affirmé, rappelant que son gouvernement avait nommé un gestionnaire par CHSLD dès août 2020.

M. Desharnais a tout de même souligné que certains CHSLD avaient un gestionnaire responsable au moment de la première vague, et que cela n’avait pas empêché certains d’entre eux de « vivre des situations dramatiques ».

L’enquête du coroner se poursuivra le 29 novembre à Shawinigan avec le témoignage du DJasmin Villeneuve, de l’Institut national de santé publique du Québec.