Québec pourra imposer la vaccination obligatoire dans le réseau de la santé s’il le souhaite, a tranché lundi la Cour supérieure, dans un jugement qui survient toutefois deux semaines après que le gouvernement Legault ait déjà reculé dans ce dossier.

« Les demandeurs ont été incapables de démontrer que le décret, qu’on soit d’accord ou non avec la valeur de la solution qu’il préconise, n’a pas été pris à sa face même pour protéger la santé de la population dans un contexte d’urgence sanitaire. […] Il y donc a lieu, à cette étape, de laisser le décret entrer en application », explique le juge Michel Yergeau dans une décision rendue publique lundi en début de journée, rejetant ainsi la demande de sursis qui était réclamée.

Rappelons que l’audience initiale avait eu lieu le 27 octobre dernier, soit quelques jours avant que le ministre de la Santé, Christian Dubé, annonce sa décision d’abandonner la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé, en disant ne pouvant se priver des soignants non vaccinés.

Dans ce dossier, le gouvernement était poursuivi par plus d’une centaine de travailleurs de la santé, dont des médecins, qui s’opposent à l’imposition de la vaccination obligatoire. L’avocate du regroupement, MNatalia Manole, avait plaidé que de retirer « 20 000 » personnes du système de santé mènerait à une « situation catastrophique » en raison des ruptures de services.

Il se peut que le pouvoir exécutif et l’administration aient fait un mauvais choix de moyens pour protéger la santé publique. Mais il n’appartient pas au Tribunal de substituer son opinion à celle du gouvernement sur ces questions d’opportunités, c’est aux électeurs qu’il reviendra de juger.

Michel Yergeau, juge de la Cour supérieure, dans son jugement

Quels impacts ?

Si la décision reste pour l’instant symbolique, vu la volte-face du gouvernement, elle pourrait toutefois s’avérer cruciale si Québec décidait de revenir à nouveau sur sa position, en choisissant d’imposer la vaccination dans le réseau de la santé. La décision du juge Yergeau pourrait alors faire office de jurisprudence, rendant d’autres éventuelles contestations judiciaires caduques.

Au cabinet du ministre de la Santé, on dit « prendre acte » de cette décision de la Cour supérieure. « De notre côté, nous poursuivons le dépistage obligatoire des employés non-vaccinés au minimum trois fois par semaine, en dehors de leurs heures de travail. Si des employés récalcitrants refusent de se faire dépister, ils seront suspendus sans solde. C’est non négociable », a martelé lundi l’attachée de presse, Amélie Paquet.

Ce dépistage régulier est mesure qui est déjà en vigueur depuis le premier report de la date butoir sur la vaccination obligatoire, le 15 octobre dernier. C’est le gouvernement qui déboursera tous les frais requis pour le dépistage, mais l’employé devra néanmoins le faire sur son temps personnel. Les établissements de santé sont invités à réaffecter le personnel non vacciné dans les endroits où la clientèle est moins vulnérable.

Jointe par courriel, l’avocate MNatalia Manole a rappelé « que le juge s’est prononcé uniquement sur la demande de suspension et non pas sur la légalité du décret ». « La question des droits individuels et de l’intérêt public sera débattue lors du procès au fond, en janvier 2022. Le juge se prononcera alors sur la légalité du décret », a-t-elle soulevé.

« Pas applicable »

La professeure à l’École de santé publique de Montréal (ESPUM) Roxane Borgès Da Silva a rappelé lundi que « même si le gouvernement a toute la légitimité d’appliquer ce décret, la réalité est qu’on a un tel taux d’absentéisme dans le réseau de la santé que cette mesure n’est pas applicable ».

« Ça reste très décevant de savoir que ces travailleurs non-vaccinés n’ont pas la conscience de la prévention de leur vocation, qui est aussi de ne pas mettre à risque les patients. C’est leur rôle principal », indique-t-elle, en rappelant que plusieurs autres pays, en Europe notamment, sont parvenus à imposer la vaccination obligatoire. « Au Québec, le taux d’absentéisme n’est pas non plus le même dans toutes les régions, mais c’est certain que la pandémie l’a augmenté », avoue-t-elle.

Pour le professeur de médecine et directeur de l’Unité de recherche en oncologie moléculaire à l’Institut de recherches cliniques de Montréal, André Veillette, le jugement démontre que l’approche était malgré tout « légitime ». « Ça soulève aussi des questions intéressantes à savoir si ça pourrait être extrapolé dans d’autres milieux, comme les gouvernements ou l’éducation. Moi, je pense que tous les employeurs devraient prendre les moyens à leur disposition pour augmenter la proportion de gens vaccinés », dit-il.

Avec Fanny Lévesque et Louis-Samuel Perron