Les experts sont unanimes. Après le réseau de la santé, c’est dans le réseau de l’éducation que la vaccination du personnel doit être obligatoire. À quelques jours de la rentrée scolaire, le gouvernement du Québec n’a toujours pas pris de décision. « Le temps presse », disent-ils tous.

L’idée de la vaccination obligatoire ailleurs que dans le réseau de la santé fait son chemin. La Ville de New York, par exemple, a décidé de l’imposer aux employés de son réseau scolaire à compter du 27 septembre. Les grandes universités canadiennes, sauf au Québec et en Colombie-Britannique, exigeront aussi une preuve de vaccination. Ottawa fera de même avec ses employés et a fortement recommandé aux industries de compétence fédérale de l’imiter, ce que les grandes banques ont fait.

Au Québec, la décision du gouvernement d’imposer la vaccination aux soignants sera discutée en commission parlementaire jeudi et vendredi, mais il n’est toujours pas question d’élargir la mesure aux employés du réseau de l’éducation.

« Agir de manière proactive »

« Il faut aller de l’avant, on veut sortir de cette crise sanitaire », insiste Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« Les enseignants ont un très grand contact social tous les jours, ils voient plein d’élèves. En plus, ils sont en contact avec des enfants qui ont moins de 12 ans et qui n’ont pas pu se faire vacciner. Pour ces raisons-là, il faut agir de manière proactive et imposer la vaccination, comme le font les grandes banques, d’ailleurs, et les employés de la Ville de Toronto. »

Mme Borgès Da Silva convient que le personnel soignant a affaire à des gens plus vulnérables que les élèves. N’empêche, dit-elle, « on se doit de donner une prestation non risquée aux jeunes ».

Les parents confient leurs enfants à des enseignants dans un environnement qui doit être sécuritaire. Et on sait que dans une crise sanitaire, ne pas être vacciné, c’est porter atteinte à la sécurité des gens autour de nous, principalement aux enfants non vaccinés.

Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

« On n’a pas beaucoup de temps »

Nimâ Machouf, épidémiologiste à la Clinique de médecine urbaine du Quartier latin, abonde dans le même sens.

« Le gouvernement, qui nous avait promis qu’il allait prendre en charge la question de la ventilation dans les classes, n’a rien fait, dénonce celle qui est aussi candidate néo-démocrate dans Laurier–Sainte-Marie. Le variant Delta court et on est à la veille de la quatrième vague. Donc, on n’a pas le choix. Si on veut offrir un milieu sécuritaire pour l’enseignement, il faut que les gens se sentent en sécurité. »

Elle ajoute : « Il y a des parents qui sont déjà en panique, surtout d’élèves d’âge primaire, dont les enfants ne sont pas vaccinés. Aujourd’hui, ceux qui s’infectent sont essentiellement des non-vaccinés. Donc, leurs jeunes font partie de ce lot. »

[Les parents] redoutent encore le cauchemar des fermetures, des ouvertures.

Nimâ Machouf, épidémiologiste

Le temps presse, selon la Dre Machouf, parce que la quatrième vague menace de déferler sous peu. « C’est encore le temps de pouvoir la supprimer, croit-elle, mais on n’a pas beaucoup de temps. Il faut vraiment rendre la vaccination obligatoire le plus rapidement possible, étant donné qu’on veut favoriser l’école en présentiel. »

Une obligation

Alain Lamarre, professeur-chercheur spécialisé en immunologie et en virologie à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), est aussi en faveur de la vaccination obligatoire dans les écoles.

« Moi, je pense que tout le monde devrait se faire vacciner, surtout les gens qui seront en contact avec des enfants qui ne seront pas vaccinés, dit-il. Est-ce qu’il faut aller jusqu’à l’obligation ? Je pense qu’il n’y aurait pas un gros tollé dans la population. Je pense que les gens sont, en général, en faveur de la vaccination obligatoire pour certains métiers. Après les travailleurs de la santé, même avant les travailleurs de l’État, ce sont les enseignants qui devraient être obligatoirement vaccinés. »

« On arrive à un point où il faut rendre la vaccination obligatoire », affirme pour sa part Donald Vinh, infectiologue et microbiologiste au Centre universitaire de santé McGill et chercheur clinicien.

Un moment donné, on arrête de le faire de la façon volontaire, il faut l’imposer. Donc, toutes les personnes qui occupent des emplois qui nécessitent des contacts avec d’autres personnes devraient être vaccinées.

Donald Vinh, infectiologue et microbiologiste

Cependant, même s’il est convaincu que la grande majorité des enseignants est vaccinée, le DVinh déplore le manque de données du ministère de l’Éducation à ce sujet.

« Le problème, c’est qu’on n’a pas de données, déplore-t-il. Ce qui me dérange, c’est que ça fait un an et demi qu’on combat cette pandémie. On a eu deux, trois mois d’été pendant lesquels on savait qu’il y aurait, à la fin août, un retour à l’école, et on n’a rien fait pour se préparer à la rentrée. On n’a pas collecté de données sur l’état de vaccination de nos enseignants. On n’a pas amélioré la ventilation, on ne s’est pas dotés de lecteurs de CO2. On a pris des vacances de la pandémie au lieu de se préparer, et ça, c’est incompréhensible. »

Imposition du passeport vaccinal

De son côté, Benoit Barbeau, professeur au département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal et expert en virologie, plaide pour l’instauration d’un passeport vaccinal, « surtout au primaire où les enfants ne sont pas vaccinés ». « Le personnel devrait être vacciné ou subir un test plusieurs fois par semaine », dit-il.

André Veillette, professeur de médecine et directeur de l’Unité de recherche en oncologie moléculaire à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM), va plus loin : « Le principe de base devrait être que tout emploi où les individus ont des contacts directs avec d’autres individus devrait nécessiter une vaccination obligatoire. »

« On sait que les vaccins marchent, que les vaccins protègent, poursuit-il. Alors, je pense qu’on a une responsabilité comme employeur de protéger les gens avec qui on est en contact. Je pense que c’est encore le temps de corriger le tir. Mieux vaut tard que jamais. »

Pour Richard Gold, professeur de droit et de science politique à l’Université McGill, signataire avec une trentaine d’autres juristes d’une lettre réclamant l’instauration du passeport vaccinal ou de tests hebdomadaires dans son établissement, l’imposition de la vaccination ne fait pas de doute. « C’est la seule façon, en fait, qu’on va atteindre nos objectifs de vaccination », dit-il.