La pression sur les urgences du Grand Montréal s’accentue fortement depuis 10 jours. La métropole a enregistré sa plus forte journée d’achalandage en 14 mois, mardi. L’impact de cet afflux de visiteurs inquiète les médecins, alors que la pénurie d’infirmières aux urgences reste criante et que la troisième vague de COVID-19 déferle. Dans l’ouest de la Montérégie, l’hôpital du Suroît est en crise et risque de devoir fermer si rien n’est fait, dénoncent dans une lettre des médecins qui réclament que l’établissement soit mis sous tutelle.

« Depuis une semaine, on voit beaucoup plus de patients dans les urgences de Montréal », affirme le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, le DGilbert Boucher. Vendredi midi, certains hôpitaux du Grand Montréal présentaient des taux d’occupation aux urgences largement au-dessus de 100 %.

« Cette semaine, et en termes d’ambulances et en termes de patients ambulatoires, on a des chiffres qui ressemblent presque à nos temps pré-COVID », affirme la présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec (AMUQ), la Dre Judy Morris.

En temps normal, donc avant la pandémie, on comptait environ 2500 visites par jour dans les urgences de Montréal. Au plus fort de la première vague de COVID-19, seulement 1100 visites par jour étaient enregistrées en moyenne. « Pendant l’hiver, on était à 1800 visites. Mais depuis une semaine, on est à 2100, 2200 visites », remarque le DBoucher.

Pour l’instant, ce ne sont pas les patients atteints de la COVID-19 qui sont très nombreux à se présenter aux urgences, mais tous les autres. « Beaucoup nous disent qu’ils ont de la difficulté à voir leur médecin en personne actuellement », note le DBoucher.

Ambulances déroutées

Ce dernier souligne que dans plusieurs urgences du Grand Montréal, la pénurie de personnel est importante. Depuis deux semaines, l’hôpital Notre-Dame a même dû dérouter des ambulances, faute de personnel suffisant pour accueillir ces patients. Aucune ambulance ne peut s’y rendre la nuit, entre 19 h et 7 h.

Directeur général adjoint de santé physique au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Pierre-Paul Millette explique que depuis le début de la pandémie, les urgences ont dû être séparées en deux (zones COVID et non-COVID).

Ça demande plus de personnel. Mais on a le même bassin de ressources humaines. Comme partout au Québec, on manque d’infirmières.

Pierre-Paul Millette, directeur général adjoint de santé physique au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Les ressources en place sont épuisées. Pour éviter les heures supplémentaires obligatoires, le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal a demandé au ministère de la Santé et des Services sociaux de rediriger les ambulances la nuit de l’hôpital Notre-Dame vers le nord et vers le CHUM jusqu’au début de mai.

À l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, par moments, des ambulances ont dû être déroutées ces derniers jours. Président par intérim du Syndicat des professionnelles en soins de l’est de Montréal, Denis Cloutier explique que la pénurie de personnel infirmier est importante à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, y compris aux urgences. « On a toujours de 150 à 200 lits de fermés dans l’hôpital qu’on n’est pas capables de rouvrir… Les craintes de la troisième vague sont grandes », dit-il.

Le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal confirme que ses deux services d’urgences (l’autre étant celui de l’hôpital Santa Cabrini) sont très occupés. « Le personnel est en place dans ces deux salles d’urgence de notre CIUSSS pour donner les soins nécessaires en toute sécurité, mais l’attente est importante aux deux sites, notamment pour les patients dont l’état ne nécessite pas une intervention urgente », indique le porte-parole, Christian Merciari, qui invite les gens à consulter leur médecin de famille pour les situations non urgentes et à composer le 811 ou à se rendre dans les cliniques désignées, et non aux urgences, pour subir un test de dépistage.

Dans ce contexte déjà tendu aux urgences, on redoute la montée en puissance de la troisième vague dans la métropole. « Pour l’instant, ça va quand même bien de ce côté. Mais quand la troisième vague va frapper, il va falloir délester », prévient le DBoucher. Un avis partagé par la Dre Morris.

Le pire est à craindre […] Ça va être un équilibre fragile dans les prochaines semaines.

La Dre Judy Morris, présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec

La troisième vague, gonflée par les variants, entraînera aussi une clientèle différente de celle des deux premières vagues aux urgences. Déjà, les patients de 70 ans et plus atteints de la COVID-19 y sont beaucoup moins présents. « On voit des patients de 30, 40, 50 ans sans aucun autre facteur de risque. Il faudra être attentif à ça. Avec le vieux COVID, on ne voyait pas ça », dit le DBoucher.

Demande de tutelle au Suroît

Ses urgences débordent. Plus de 35 lits sont fermés aux étages faute de personnel. Et on assiste à des démissions massives d’infirmières et de médecins ces derniers jours. L’hôpital du Suroît est dans une situation si précaire que l’établissement pourrait carrément devoir fermer ses portes d’ici quelques semaines, prévient le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) dans une lettre envoyée vendredi au ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé. Les médecins sont si inquiets qu’ils réclament « de façon pressante » une tutelle pour leur établissement.

« L’hôpital se dirige tout droit vers une fermeture imminente d’ici quelques semaines », écrit le CMDP dans sa missive.

Le 22 mars, le ministre de la Santé, Christian Dubé, s’était rendu dans la région pour constater la pression que vit l’hôpital du Suroît depuis des mois.

Depuis votre visite, la situation déjà dangereuse et insoutenable s’est nettement détériorée. Départs d’infirmières, [ruptures] de services multiples, démissions de médecins et accumulation d’erreurs médicales ont engendré un contexte de soins devenu carrément impossible.

Extrait de la lettre du CMDP de l’hôpital du Suroît au ministre Christian Dubé

Pour les médecins, le gouvernement doit rapidement imposer « un redécoupage massif et permanent des ambulances » sur le territoire. « Cette dernière solution est vitale. Il n’est pas sécuritaire de garder autant de patients à l’hôpital du Suroît », indique le CMDP, qui évoque même de « multiples décès ».

À ce jour, ce sont 36 lits qui sont fermés à l’hôpital du Suroît, faute de personnel. Cette fermeture de lits aux étages exerce une pression supplémentaire sur les urgences. Les médecins accusent la direction de ne pas trouver de solution à la crise qui perdure depuis des mois.

Au CISSS de la Montérégie-Ouest, on mentionne que « la situation de la main-d’œuvre est effectivement critique » dans les hôpitaux et que « des décisions difficiles sont prises […] afin d’assurer une prestation de services sécuritaires à la population ».

Ainsi, en raison d’une vague de départs non planifiés cette semaine dont quatre congés de maternité, une unité de l’hôpital du Suroît a été fermée temporairement.

Jade St-Jean, porte-parole du CISSS de la Montérégie-Ouest

Celle-ci affirme que des solutions sont en place « pour éviter qu’il y ait une congestion au niveau de l’urgence liée à la fermeture de ces lits qui baisse notre capacité d’hospitalisation ». Des « réorientations des ambulances vers les deux autres hôpitaux du CISSS » (Anna-Laberge et Ormstown) sont notamment effectuées.

Le CISSS intensifie son recrutement et en mai, 65 candidates à l’exercice de la profession infirmière et 103 étudiants en soins infirmiers se joindront aux équipes. « Néanmoins, tout comme les médecins, nous sommes conscients que la pression sur les équipes ne fait qu’augmenter et que la situation actuelle ne peut durer autant pour nos employés que pour la population », affirme le CISSS, qui « sollicite l’aide du MSSS sur une base régulière pour mettre en place des solutions nécessitant son autorisation ». Le CISSS espère notamment que le « détournement d’ambulances de l’ouest du territoire vers d’autres établissements » sera « rapidement autorisé pour réduire la pression ».