Alors que la vaccination contre la COVID-19 commence, de nouvelles interrogations surgissent au sujet de l’immunité. Des vaccins qui semblaient près du fil d’arrivée connaissent des embûches, et les mutations du coronavirus inquiètent certains chercheurs. De fait, une nouvelle souche du coronavirus frappe en ce moment le Royaume-Uni, forçant les autorités à imposer le reconfinement de Londres, notamment.

L’énigme des mutations

Lundi dernier, au Parlement de Londres, le secrétaire britannique à la Santé, Matt Hancock, a révélé qu’une « nouvelle souche » du SARS-CoV-2, le coronavirus responsable de la COVID-19, est apparue dans le sud de l’Angleterre et est responsable d’une transmission plus rapide dans cette région. Une description génétique du virus a été publiée mercredi par un groupe britannique et samedi par un groupe néerlandais. Est-ce que cela compromet l’efficacité du vaccin ? M. Hancock a assuré que non, mais La Presse a posé la question à James Liao, généticien de l’Université de Taiwan qui vient de publier dans la revue PNAS une recension de toutes les souches du virus. « Les mutations observées jusqu’à maintenant ont été prises en considération par les sociétés fabriquant des vaccins, donc je pense que toutes les mutations pour le moment sont couvertes, dit le DLiao.

Mais on ne sait pas ce qui va se passer avec les prochaines mutations. Celle du Royaume-Uni est très intéressante, mais il n’est pas encore formellement démontré qu’elle entraîne une hausse de la transmission. Tout ce qu’on peut dire, c’est que c’est une souche capable de s’imposer par rapport aux autres souches. » Cette mutation semblant rendre le coronavirus plus transmissible le rendra-t-il moins mortel ? « C’est souvent ce qui se passe dans la nature et on s’attend à ça, dit le DLiao. Mais on ne sait pas si c’est le cas. Pour le moment, le taux de mortalité semble diminuer à cause de l’amélioration des soins. » Frédéric Ors, de la pharmaceutique IMV, pense quant à lui qu’il est possible qu’une souche qui ne réagit pas au vaccin, récemment décrite sur le site de prépublication scientifique BiorXiv et actuellement très rare, soit favorisée par la vaccination. « C’est un risque faible, mais réel », dit M. Ors.

Confinement au Royaume-Uni

PHOTO TOBY MELVILLE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Boris Johnson, premier ministre du Royaume-Uni

Quoi qu’il en soit, la nouvelle souche britannique, appelée VUI-202 012/01, a déjà eu des impacts au Royaume-Uni, étant citée par le gouvernement lors de l’imposition de mesures de confinement beaucoup plus sévères samedi. Mardi, l’Organisation mondiale de la santé indiquait suivre le comportement des 17 mutations caractéristiques de cette nouvelle souche plus transmissible, mais estimait que les vaccins déjà approuvés devraient toujours fonctionner et que la souche ne semblait pas donner une maladie plus grave. Le British Medical Journal (BMJ), dans un article de nouvelle mercredi, rapporte que cette nouvelle souche est apparue en septembre en Angleterre et ne semble pas avoir été importée d’ailleurs. Elle représente maintenant 20 % des cas dans le Norfolk, 10 % dans l’Essex et 3 % dans le Suffolk, trois comtés du sud-est de l’Angleterre. Le BMJ note aussi que la souche dominante au Royaume-Uni est elle-même apparue à la fin du printemps et se caractérisait également par une plus grande transmissibilité, par rapport à la souche chinoise du début de la pandémie.

Une tuile pour Sanofi et GSK…

Le 11 décembre, Sanofi et GSK ont annoncé que leur vaccin progressait moins bien que prévu et ne serait prêt qu’à la fin de 2021, plutôt qu’à Pâques. Or, Medicago, une compagnie de Québec dont le vaccin contre la COVID-19 est en phase II, utilise un adjuvant de GSK. Est-ce que cela pose problème ? « Cette annonce ne nous affecte nullement », affirme Nathalie Charland, directrice des affaires scientifiques et médicales chez Medicago. « L’usage d’un adjuvant permet d’augmenter la réponse immunitaire et, par conséquent, de réduire la quantité d’antigène nécessaire par dose de vaccin. Il est donc très utile en cas de pandémie. L’adjuvant n’est pas à l’origine de l’efficacité du vaccin. » Le vaccin de Medicago est actuellement testé chez 100 personnes et la phase II inclura 600 Canadiens, dont des Québécois, et 300 Américains. Le revers de Sanofi/GSK est très surprenant, selon Frédéric Ors, PDG d’IMV, une autre société de Québec qui est en ce moment en phase II-III de son vaccin contre la COVID-19. « Ce sont deux pharmaceutiques très fortes en vaccins. »

… et pour Sinovac

PHOTO AMANDA PEROBELLI, ARCHIVES REUTERS

Une infirmière tient une seringue contenant le vaccin contre la COVID-19 de Sinovac, à l’Institut Emilio Ribas, à São Paulo, au Brésil.

L’un des vaccins chinois les plus avancés, Sinovac, a reporté cette semaine la publication de ses premiers résultats intérimaires de phase III au 23 décembre. De plus, l’essai clinique de Sinovac a été interrompu au Pérou à cause d’un cas grave de réaction négative au vaccin. Il n’en a pas fallu plus pour alimenter la machine à rumeurs. « C’est assez surprenant parce que c’est un vaccin atténué, dit Frédéric Ors, d’IMV. C’est une technologie très bien établie. Il y avait des inquiétudes auparavant, mais Sinovac avait dit que les titres de neutralisation étaient très bons. » Le titre de neutralisation d’un vaccin est le niveau auquel il neutralise les particules du virus causant la maladie.

L’éthique du placebo

Cet automne, deux essais dans le JAMA et le New England Journal of Medicine ont rejeté l’idée que les participants aux essais cliniques ayant reçu un placebo devraient recevoir le vaccin s’il est approuvé. Un essai clinique comporte généralement un groupe recevant la molécule active et un autre groupe recevant une molécule inactive, le placebo ; ni les chercheurs ni les patients ne savent avant le dévoilement des résultats qui a reçu le placebo. « C’est l’opinion majoritaire, parce que ça permet de continuer à faire l’essai clinique plus longtemps », dit Jonathan Kimmelman, bioéthicien à l’Université McGill. « Personnellement, je ne suis pas d’accord. Je pense qu’on pourrait peut-être explorer un autre design d’essai clinique, ou à tout le moins faire une nouvelle demande de consentement des participants après l’approbation du vaccin. Une autre idée est que les participants pourraient désigner une autre personne, par exemple un proche ayant un facteur de risque, mais ne se trouvant pas sur les listes prioritaires, pour recevoir une dose de vaccin. »

Un record de précommandes

Cette semaine, une ONG regroupant entre autres Oxfam et Amnistie Internationale a dénoncé le Canada comme le pays ayant acheté le plus grand nombre de doses de vaccins contre la COVID-19 par rapport à sa population, 8,9 doses par habitant. La People’s Vaccine Alliance reproche aux pays riches d’avoir monopolisé les premières doses de vaccins, notant que 70 pays pauvres ont pour le moment acheté moins d’une dose par habitant. Selon Frédéric Ors, il s’agit probablement d’une conséquence de la faible capacité du Canada de produire des vaccins, particulièrement avec les nouvelles technologies qui sont les premières approuvées, celles de Pfizer-BioNTech et Moderna. « Ça serait logique, vu que plusieurs pays semblent privilégier leur marché interne », dit M. Ors.

Quand vacciner les enfants ?

En octobre, l’Académie américaine de pédiatrie a publié une lettre ouverte appelant des essais cliniques de vaccins contre la COVID-19 chez les enfants de moins de 12 ans, notant que pour le moment seul un essai préclinique de l’Université Duke sur le singe a des données pour ce groupe d’âge. Quand un vaccin sera-t-il prêt pour les enfants du primaire et comment sera-t-il testé ? En entrevue avec La Presse le 9 décembre, Vratislav Hadrava, vice-président et directeur médical de Pfizer Canada, a indiqué que les essais cliniques du vaccin de Pfizer ne portent que sur les enfants de plus de 12 ans et qu’une approbation pour les enfants plus jeunes se ferait sur la base d’une extrapolation des données chez les adultes. « Parfois, on fait un essai sans groupe témoin chez les enfants, et on utilise les taux de neutralisation du virus observés chez l’adulte pour inférer l’efficacité du vaccin », indique Jonathan Kimmelman, de McGill.

Alcool et vaccin russe

PHOTO PAVEL GOLOVKIN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La Russie vient de recommander l’abstinence d’alcool pendant deux mois après son vaccin Spoutnik V, qui est présentement en phase III auprès de 40 000 cobayes.

La Russie vient de recommander l’abstinence d’alcool pendant deux mois après son vaccin Spoutnik V, qui est présentement en phase III auprès de 40 000 cobayes. Doit-on s’inquiéter pour les autres vaccins ? « Je n’ai jamais entendu parler d’un impact de l’alcool sur un vaccin, dit Frédéric Ors d’IMV. Bien sûr, si on a une mauvaise santé, notre système immunitaire fonctionne moins bien, mais c’est tout. » Une efficacité de 92 % a été annoncée le 9 novembre pour Spoutnik V, avec 20 cas survenus chez les 16 000 volontaires ayant reçu deux doses. À noter, la Russie a commencé à vacciner certains patients en août, sans attendre les résultats de la phase III de son essai clinique.

Le vaccin vietnamien

PHOTO MANAN VATSYAYANA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le Viêtnam s’est ajouté cette semaine à la liste des pays émergents planchant sur leur propre vaccin, pour contourner la difficulté d’accès aux vaccins les plus avancés, généralement mis au point par des multinationales et réservés à prix fort par les pays riches.

Le Viêtnam s’est ajouté cette semaine à la liste des pays émergents planchant sur leur propre vaccin, pour contourner la difficulté d’accès aux vaccins les plus avancés, généralement mis au point par des multinationales et réservés à prix fort par les pays riches. Le Nanocovax de la firme Nanogen est le premier des quatre vaccins vietnamiens à commencer un essai de phase I, depuis jeudi. Il utilise la technologie des protéines recombinantes, déjà utilisée pour d’autres vaccins. Mercredi, une étude publiée dans le British Medical Journal a avancé que des pays pauvres représentant 20 % de la population mondiale ne recevraient aucun vaccin avant 2022.