(Pointe-à-la-Croix) Pour demeurer dans la bulle sanitaire du Nouveau-Brunswick, la municipalité gaspésienne de Pointe-à-la-Croix s’est coupée du reste du Québec. Il n’en fallait pas plus pour créer des tensions dans une communauté tissée serré.

Le maire de Pointe-à-la-Croix joue nerveusement avec sa casquette. « C’est touchy. Ça crée de la frustration et de la division », lâche Pascal Bujold, assis devant la caisse enregistreuse de son garage spécialisé en VTT.

Son téléphone sonne sans cesse. « Une entrevue avec Radio-Canada », dit-il. À quelques mètres de là, devant la salle municipale, se déroule une manifestation.

La municipalité de 1470 habitants se trouve au cœur d’une petite tempête. La communauté tricotée serré qu’elle forme avec les villages voisins a été divisée par un barrage policier depuis la fin de semaine.

Tout a commencé avec la multiplication des cas de COVID-19 dans un secteur de la baie des Chaleurs. Trois municipalités — Carleton-sur-Mer, Maria et Nouvelle — dénombrent 123 cas actifs.

C’est là qu’on trouve, compte tenu de la population, les taux d’infection les plus élevés au Québec. Ces trois municipalités se retrouvent dès ce mardi en zone rouge.

Plus à l’ouest, Pointe-à-la-Croix est largement épargnée. La municipalité reliée par un pont à Campbellton, au Nouveau-Brunswick, ne peut se permettre d’éclosions, au risque de perdre l’accès à la province voisine.

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Pascal Bujold, maire de Pointe-à-la-Croix

L’employeur principal de la municipalité, c’est pas mal l’hôpital de Campbellton. On a une affinité avec le Nouveau-Brunswick qu’il n’y a pas ailleurs.

Pascal Bujold, maire de Pointe-à-la-Croix

Mais le Nouveau-Brunswick a été échaudé par la situation sanitaire difficile dans la baie des Chaleurs. Pour garder l’accès à Campbellton, il fallait donc limiter les entrées. Québec a publié un décret vendredi dernier : à moins de raisons sérieuses, les habitants du reste du Québec et des municipalités environnantes ne pourraient plus avoir accès à Pointe-à-la-Croix.

« Les résidants du Québec sont interdits dans une municipalité québécoise sous la pression du gouvernement du Nouveau-Brunswick. C’est incroyable », s’indigne le député de Bonaventure, le péquiste Sylvain Roy.

Une heure pour aller faire l’épicerie

Le député local n’est pas le seul à mal digérer ce nouveau barrage policier. Plusieurs familles qui avaient l’habitude d’aller faire l’épicerie à Pointe-à-la-Croix doivent maintenant faire un long détour.

« Ça fait mal de ne pas pouvoir aller à Pointe-à-la-Croix. Il y a un CLSC, la pharmacie, un Provigo, la SAQ, tout », énumère Kasandra Gallant, 29 ans.

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Kasandra Gallant avec ses trois enfants, Malick, Zoé et Mia.

La mère de trois enfants habite à 30 minutes du nouveau barrage, à Saint-François-d’Assise, 644 habitants. Le village n’a pas d’épicerie.

À cause du décret, elle doit maintenant se rendre à Amqui, à une heure de route. L’autre épicerie de taille respectable la plus proche se trouve à Carleton-sur-Mer, en zone rouge. « Mais on ne veut pas aller là pour ne pas apporter le virus ici », dit-elle.

C’est à Ristigouche-Sud-Est que la situation est la plus loufoque. Le village de 160 habitants se trouve à 4 km de Pointe-à-la-Croix. Il n’a ni dépanneur ni station-service.

« Maintenant, on doit aller faire l’épicerie à Nouvelle, qui est en zone rouge. Ou aller dans une petite épicerie de village à Matapédia », explique le maire David Ferguson.

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David Ferguson, maire de Ristigouche-Sud-Est

À Matapédia, ça coûte vraiment plus cher. J’ai une famille avec trois enfants… Je pense que la plupart des gens ici n’auront pas la capacité d’assumer cette hausse-là du prix de leur panier.

David Ferguson, maire de Ristigouche-Sud-Est

Le décret de Québec a causé une levée de boucliers dans la région. Même le maire de Pointe-à-la-Croix estime qu’il va trop loin.

« Ça divise beaucoup le coin. Ristigouche-Sud-Est est juste à côté. Ils n’ont pas de dépanneur. Pour une pinte de lait, ils doivent aller à Matapédia. Ça n’a juste pas de bon sens. Ce n’est jamais ce qu’on a souhaité », assure Pascal Bujold.

Il aimerait que les gouvernements du Québec et du Nouveau-Brunswick s’entendent pour inclure dans la bulle sanitaire les municipalités du coin qui ne sont pas frappées par la COVID-19, d’Escuminac à L’Ascension.

« Les enfants vont à l’école secondaire ensemble. Les enfants grandissent ensemble. Ça fait des liens assez forts. Et là, on est en train de diviser ça », déplore M. Bujold, qui craint que ce conflit ne laisse des traces indélébiles.

« Discussions en cours »

Au Centre intégré de santé et de services sociaux de la Gaspésie, la porte-parole indique que « des discussions sont en cours entre la Sécurité publique du Québec et du Nouveau-Brunswick » au sujet du décret.

Mais certains citoyens de Pointe-à-la-Croix craignent de tout perdre si le décret est reformulé. Si leur municipalité offre plusieurs services, Campbellton en offre encore davantage, comme un Canadian Tire ou un Walmart.

Ils étaient une vingtaine à manifester lundi pour exiger le maintien de leur bulle sanitaire avec le Nouveau-Brunswick, même si les villages voisins en pâtissent.

« À Pointe-à-la-Croix, on va à Campbellton à tout bout de champ, que ce soit pour l’épicerie, le Canadian Tire, la quincaillerie », lâche Jean-Marc Bouchard, un participant, masque sur le nez.

« Je veux bien être solidaire avec le Québec, mais je veux être solidaire avec ma communauté aussi. »