La première vague, on ne l’a pas vue venir. Pourtant, elle partait de loin. De la mer de Chine. On a regardé les Chinois boire la tasse sans broncher. En restant les deux pieds dans l’eau, un piña colada dans la main. Zéro inquiet, ça va bien aller. Si Price peut bien goaler

Puis la vague s’est rapprochée. Elle a submergé l’Italie. Toujours peinards, on a pris une gorgée de notre verre. Pauvres Italiens. Ça va pas ben. On n’a pas pensé revenir sur notre serviette. On a continué à se faire tremper la bedaine. Le sauveteur ne nous a pas demandé de reculer. Il est même parti en vacances. Tellement tout était sous contrôle. Faut dire que personne ne s’alarmait. Pas plus lui que le monde autour. Même que notre voisin, l’Américain, est allé jouer dans le plus creux. EVERYTHING IS FINE. Tant que le toupet tient.

On était en train de chanter « Haut les mains ! Lalalala ! Haut les mains ! » quand la vague nous a ramassés de plein fouet. Bang ! Le maillot a pris le bord. Le cocktail s’est renversé. Un vrai raz-de-marée. Plus gros que la vague d’Hawaii 5-0. La vague COVID 19-0. À dérouter une baleine.

Pour nous protéger, on est restés la tête dans le sable pendant trois bons mois. Sans rien faire. Sans bouger. En chantant « Lave tes mains ! Lalalala ! Lave tes mains ! » Pendant qu’à côté de nous, les flots emportaient des noyés. Et que des héros parvenaient à en réanimer.

On a eu peur d’y rester. Puis un jour, la vague s’est brisée. Sa courbe s’est aplatie. La mer s’est calmée. Le sauveteur nous a dit qu’on pouvait sortir notre tête du sable. Reprendre nos activités. Retourner nous baigner en toute sécurité. Tout en nous avertissant qu’une deuxième vague allait probablement arriver.

C’est ça qui est embêtant.

La deuxième vague, la deuxième vague. Paraît qu’elle est inévitable. Quand va-t-elle se produire ? On ne le sait pas. Juillet ? Août ? Septembre ? Octobre ? Novembre ? Décembre ? Qui sait ? Va-t-elle être pire ? Peut-être bien que oui. Peut-être bien que non. Quoi faire pour l’éviter ? Garder nos distances. Facile à dire. Garder ses distances, enfermé dans sa chambre, c’est parfait. Garder nos distances aux glissades d’eau, c’est compliqué. Le mot le dit, glissades, comme dans glisser. Quand on glisse, on n’a plus le contrôle. Une dérape et on arrive dans le Speedo du voisin. À six pouces de distance.

C’est comme l’ouverture des bars. On peut y aller, mais on ne peut pas danser. Qu’est-ce qu’on fait si on ne danse pas dans un bar ? On jase. Comment on jase dans un bar ? En se rapprochant parce que la musique joue trop fort. On ne peut pas se rapprocher, faut rester à deux mètres de distance. Baissez la musique. Un bar pas de danse, peu de musique, belle soirée. C’est sûr qu’après deux verres, les gens vont agir dans les bars comme ils ont toujours agi dans les bars. Chassez le naturel, il revient au disco. Les autorités le savent. C’est pour ça qu’elles ont tant attendu. Maintenant, elles nous donnent la permission avant qu’on ne les écoute plus. Comme un parent qui veut rester le chef devant son ado. Oui, tu peux y aller au party, pourvu que tu rentres avant minuit. Tout le monde sait qu’on va rentrer demain matin. Mais le parent a fait sa job de parent. Mais le gouvernement a fait sa job de gouvernement. Oui, tu peux aller au bar, mais reste loin des gens. Oui, papa. Oui, maman.

C’est clair. À partir de maintenant, tout dépend de nous. De la façon dont on va agir les uns avec les autres. On nous traite en personnes responsables. C’est ce que nous voulions. On l’a eu. À nous d’être à la hauteur de cette confiance. L’échec de la deuxième vague, ce sera le nôtre. Surtout le nôtre.

Être solidaires quand on était chacun de notre côté, c’était exigeant. Être solidaires maintenant qu’on est en liberté, qu’on est tout mêlés, qu’on doit se partager les mêmes endroits, c’est encore plus exigeant.

Mais c’est ça, être des grands. Mettre un masque même si ça ne nous tente pas. Faire la queue même si on veut toujours passer en premier.

La deuxième vague, elle se nourrit de nos gouttelettes. Plus on va les garder pour soi, moins elle va être brutale.

Notre défi, c’est de ne pas l’oublier. Et pour ça, va falloir s’aider. Voilà pourquoi le nouveau ministre de la Santé a bien fait de revenir sur la décision de dévoiler les statistiques de la pandémie seulement de façon hebdomadaire. Six jours sur sept, on aurait eu l’impression qu’il ne se passe plus rien. Que tout est fini. Les statistiques, c’est le drapeau du sauveteur. N’allez pas trop loin. Faut le garder bien hissé. Au quotidien. Bien en vue. Prudence, la gang.

Entre deux vagues, rien ne doit être vague.

Tant mieux si la mer reste calme. Tant mieux si le pire est passé. Tant mieux si on peut recommencer à patauger, comme dans le temps. Mais faut avoir l’œil sur chacun de nous. La famille ne doit plus perdre un seul membre.

En attendant de savoir ce qui va nous arriver, le mieux, c’est toujours de chanter : 

Entre deux vagues, tu pourras faire quelque chose

Entre deux vagues, tu pourras te grouiller le cul

Mais à deux mètres de distance

Et lave tes mains après.