Québec se défend d’improviser quant à son plan de déconfinement, au lendemain de vives critiques de la part de la conseillère scientifique de Justin Trudeau. Le Dr Horacio Arruda en a profité pour dénoncer les « gérants d’estrade » et annoncer une volte-face concernant les grands-parents, qui pourront garder leurs petits-enfants sous certaines conditions.

Le Dr Arruda a répondu avec verve en point de presse, jeudi, à des critiques de Mona Nemer, conseillère scientifique en chef du premier ministre du Canada. Dans un entretien à Radio-Canada, celle-ci avait dénoncé la « mauvaise planification » dans la stratégie de dépistage de Québec.

« Écoutez, je ne répondrai pas à madame, compte tenu que je considère que je n’ai pas à rendre de comptes à cette dame, mais à la population du Québec, ça, oui, puis à mes autorités », a lancé le Dr Arruda, visiblement agacé.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Mona Nemer, conseillère scientifique en chef du premier ministre du Canada

Dans des échanges avec La Presse, la Dre Nemer a précisé ses propos.

« Je ne critique pas la stratégie québécoise, d’abord parce que je ne l’ai jamais vue, est-ce qu’elle est publique ? […] Seulement, j’essayais de comprendre où se trouve le problème qui expliquerait la différence entre le nombre de tests visés et le nombre de tests réalisés sur le terrain », a-t-elle affirmé.

Le premier ministre du Québec a tenu lui aussi à défendre les efforts de dépistage de son gouvernement. « Jusqu’à ce jour, au Québec, on a fait 37 000 tests par million d’habitants », a détaillé François Legault.

« Si vous prenez des comparaisons, en Ontario, ils ont fait 25 000 tests par million d’habitants, aux États-Unis, 24 000 tests, au Royaume-Uni, 21 000 tests, en France, 17 000 tests par million d’habitants », a-t-il énuméré.

Vent de critiques

« Je me serais attendue à voir un plan, mais je n’ai jamais vu de plan. Et pourtant, je l’ai demandé plusieurs fois », a soutenu Mme Nemer à Radio-Canada. À La Presse, la Dre Nemer a précisé n’avoir jamais été en contact avec le Dr Arruda, mais avec le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion.

Les critiques de Mona Nemer rejoignent celles de nombreux experts au cours des derniers jours. Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, avait aussi dit attendre un plan du gouvernement Legault concernant le dépistage.

J’avais dit la même chose le 30 avril. Une semaine plus tard, la Dre Nemer arrive à la même conclusion, ou pour être plus exact, à la même frustration.

Benoît Mâsse

« La stratégie de dépistage annoncée a du sens, mais apparemment, les moyens ne sont pas au rendez-vous », estime quant à elle Nimâ Machouf, épidémiologiste rattachée à l’Université de Montréal, qui parle d'« annonces un peu trop précipitées » de la part du gouvernement.

« Tous les matins, on se demande combien on a de réactifs et d’écouvillons. Des fois on se dit : OK, là on est correct pour quatre jours. Mais tout rentre au goutte-à-goutte. C’est l’enfer, on n’est pas du tout souverains dans nos affaires », a témoigné une personne du milieu de la santé à Montréal impliquée dans les tests qui n’a pas voulu être nommée.

Québec visait 14 000 tests quotidiens d’ici la fin de la semaine. Le Dr Arruda a assuré que plus de 10 000 sont désormais réalisés quotidiennement. Il pense que le chiffre sera de 12 000 vendredi.

Par ailleurs, Québec reconnaît qu’un logiciel qui devait accélérer les enquêtes épidémiologiques tarde à être mis en place. La plateforme Akinox est au cœur de la stratégie de retraçage du gouvernement.

« Notre logiciel qui devait rentrer il y a trois semaines va rentrer seulement la semaine prochaine », a annoncé le Dr Arruda.

Une annonce qui, encore une fois, inquiète Benoît Mâsse.

« Les méthodes pour tester, tracer et isoler doivent être bien en place et rodées avant de déconfiner. On ne veut pas donner une longueur d’avance au virus », dit-il.

Volte-face

Au sujet du changement de cap concernant le contact entre les grands-parents et leurs petits-enfants, Horacio Arruda a martelé qu’il ne fallait pas y voir de signe d’improvisation et en a profité pour dénoncer les « gérants d’estrade ».

« La position, elle va évoluer, comme dans une semaine ou deux, ça se peut qu’elle évolue », s’est défendu jeudi le directeur national de santé publique du Québec en conférence de presse.

Fin avril, le gouvernement a affirmé que les plus de 60 ans ne devaient pas « prendre leurs petits-enfants » dans leurs bras. Cette semaine, les autorités ont annoncé que les Québécois de 60 à 69 ans pourraient retourner au travail. Il y avait une apparente contradiction.

Mais jeudi, le gouvernement a modifié sa consigne pour les grands-parents de moins de 70 ans. « Je peux annoncer aux grands-parents qu’ils pourront garder leurs petits-enfants sous certaines conditions. Mais il faut éviter, bien entendu, les grandes accolades », a dit Horacio Arruda.

Comment expliquer cette volte-face ? La question a piqué le directeur national de santé publique. « Vous pouvez nous demander d’être parfaits puis d’avoir la vérité, mais je serais incapable de vous la dire », a-t-il lancé.

Je vous le dis, des gérants d’estrade, des personnes qui disent que c’est ça qui devrait être fait, il y en a plein. C’est normal, puis ça fait partie de la nature, mais méfiez-vous des gens qui ont la vérité.

Le Dr Horacio Arruda

Québec doit préciser dans les prochains jours sa recommandation sur les grands-parents qui gardent. Mais on en connaît déjà les grandes lignes.

Ceux-ci devront avoir moins de 70 ans. Ils devront porter un masque « pour certains types de procédures ». Les enfants devront ne pas encore avoir fréquenté l’école ou la garderie, pour réduire les risques d’infection.

Le Dr Arruda a aussi laissé entendre que seuls les enfants de travailleurs essentiels pourraient être gardés par leurs grands-parents. Une vidéo est en train d’être produite pour expliquer les consignes, a précisé le Dr Arruda.

Pour soutenir la décision de renvoyer au travail les 60 à 69 ans, les autorités ont rappelé que seuls 6,5 % des 2631 Québécois morts de la COVID-19 étaient dans cette tranche d’âge, contre 17,4 % chez les 70 à 79 ans, 40,1 % chez les 80 à 89 ans et 33,5 % chez les 90 ans et plus.