Souffrant d’une troisième récidive de cancer pour lequel il ne peut plus être traité, le psychologue Jean-Pierre Rochon se bat depuis des mois pour avoir droit à l’aide médicale à mourir. Mais alors qu’il vient tout juste d’obtenir son autorisation pour recevoir ce soin ultime, la COVID-19 vient bouleverser ses plans.

« J’avais prévu faire une cérémonie avec quelques personnes importantes pour moi à la maison le jour où je recevrais l’aide médicale à mourir. Je ne pourrai pas. C’est un peu plate. Mais bon… », dit l’homme de 70 ans.

Une longue bataille

Le résidant des Laurentides se bat contre le cancer depuis 10 ans. Ex-toxicomane, grand voyageur, intellectuel, fervent religieux et ouvertement homosexuel, M. Rochon est un personnage haut en couleur. Il a rencontré La Presse pour la première fois en février dernier. Vêtu d’un complet noir et d’une cravate aux couleurs flamboyantes, il a raconté sa longue bataille contre la maladie.

Après s’être fait retirer un rein en 2009 à cause d’un cancer, M. Rochon a subi une récidive en 2010 et en 2012. En juillet 2019, il apprenait qu’il vivait une troisième récidive. Il a subi un traitement d’immunothérapie dont les effets secondaires ont été très douloureux.

Non guérissable, le cancer de M. Rochon se développe tranquillement, mais le fait souffrir constamment. 

Je dépéris à vue d’œil. […] La tumeur fait mal. Ça irradie. Je n’en peux plus.

Jean-Pierre Rochon

Chaque petite tâche est devenue une corvée. Pour se préparer à manger, il doit s’asseoir. « Je n’ai plus de qualité de vie. Je marche comme un petit vieux. Je n’ai plus de force. J’ai mal. » Tous les jours, il avale un cocktail d’au moins huit médicaments, dont de la morphine pour atténuer ses douleurs. Depuis un an, il dit avoir perdu environ 80 livres.

Vouloir l’aide médicale à mourir

L’automne dernier, alors qu’il était terrassé par les douleurs, M. Rochon a accueilli le jugement Gladu-Truchon avec soulagement. Dans sa décision, la juge de la Cour supérieure Christine Baudouin déterminait que les critères de « fin de vie » et de « mort raisonnablement prévisible » contenus dans les lois fédérale et provinciale sur l’aide médicale à mourir étaient discriminatoires. Elle donnait jusqu’au 11 mars 2020 aux gouvernements pour modifier leurs lois.

M. Rochon croyait alors qu’il pourrait enfin avoir droit à l’aide médicale à mourir (AMM). Car son cancer évoluant lentement, il n’était pas considéré comme en « fin de vie ». « Je remplissais tous les autres critères, comme les grandes souffrances, mais pas celui-là. »

Quelques jours après le jugement Gladu-Truchon, M. Rochon s’est aussi réjoui en regardant le débat des chefs : « Tous les candidats en lice pour devenir premier ministre du Canada disaient qu’ils ne contesteraient pas le jugement. Je n’attendais qu’une chose : le 12 mars », dit-il.

En voyant s’approcher le mois de mars, M. Rochon a fait ses plans. Il prévoyait demander l’AMM pour le 22 mars, jour de son anniversaire. L’homme qui a voulu être prêtre dans sa jeunesse était en paix avec la décision. 

Ma vie est réussie. J’ai visité 10 pays d’Europe. J’ai rencontré plein de gens. Ma vie est réussie.

Jean-Pierre Rochon

Il a dressé son plan pour le jour J : « Il y aura une célébration de la parole ici dans mon salon, expliquait-il en février. De la musique jouera, comme Un peu plus haut, un peu plus loin. Après les deux heures de cérémonie, je vais aller dans ma chambre pour recevoir les cinq injections. »

Mais le 17 février, Ottawa a demandé, et obtenu, un délai supplémentaire de quatre mois pour se conformer au jugement. Les plans de M. Rochon ont été changés. Il ne pourrait avoir accès à l’aide médicale à mourir qu’en été, à moins qu’il ne demande une exemption. M. Rochon n’avait toutefois pas la force d’entreprendre les démarches administratives.

Arrive la COVID-19

Puis la COVID-19 est arrivée au Québec. Le gouvernement a imposé des règles de confinement, auxquelles M. Rochon se soumet. En mars, il a subi d’autres tests qui ont montré la progression de sa tumeur. Il est maintenant considéré comme en fin de vie et admissible à l’aide médicale à mourir. Une nouvelle qu’il a accueillie comme un « véritable soulagement ». Mais M. Rochon a vite réalisé qu’avec les règles de confinement imposées par la COVID-19, ses plans pour le jour J seront chamboulés. « J’aurais aimé avoir des amis proches pour faire une célébration avant. Mais la COVID-19 bouleverse tout. On va devoir tenir compte de la distanciation. Il y a beaucoup de contraintes. Je suis juste tanné de me battre ».

Pas un cas unique

Médecin de famille offrant l’aide médicale à mourir, le DAlain Naud confirme que la COVID-19 change considérablement la situation pour les patients en fin de vie actuellement. « C’est clair que c’est une préoccupation de plus », dit-il.

En établissement, les patients en fin de vie ne peuvent avoir plus d’une personne à la fois à leurs côtés, pour un maximum de trois personnes par jour.

Pour les personnes qui veulent recevoir l’aide médicale à mourir à domicile, les règles de distanciation physique comme les deux mètres de distance entre deux personnes s’appliquent. Aucune personne présente ne peut avoir de symptômes et le médecin doit porter un masque. Mais le DNaud confirme que la rigidité dans l’application de ces règles varie en fonction du médecin. 

Ce n’est pas une situation ordinaire. Il ne peut pas y avoir de prise 2.

Le Dr Alain Naud

Pour le DNaud, ce que la pandémie change le plus, c’est « la chaleur qu’on peut mettre autour » de l’aide médicale à mourir. « Les accolades à la famille. Les poignées de main… C’est vraiment plate. Mais les gens comprennent », note-t-il.

Le DNaud souligne aussi que les plans de funérailles, qui ne peuvent avoir lieu pour l’instant, sont aussi chamboulés. Cet aspect incommodait M. Rochon au début. Mais plus maintenant : « Mes funérailles, je les aurai quand je les aurai. Que veux-tu : on ne peut rien y faire. »