Bien des pays qui ont réussi à contrôler la pandémie avec succès sont dirigés par des femmes. Le fruit du hasard ? Pas du tout, selon des leaders québécoises de premier plan. Tour d’horizon d’une question plus complexe qu’il n’y paraît.

De la même manière que la tragédie de Lac-Mégantic a révélé les qualités de leadership de la mairesse Colette Roy Laroche, la pandémie a mis en lumière un grand nombre de leaders au féminin au cours des dernières semaines.

Un œil averti aura en effet remarqué que les pays qui déplorent le moins de morts depuis le début de la crise sanitaire sont dirigés par des femmes. On pense à l’Allemagne (Angela Merkel), au Danemark (Mette Frederiksen), à la Nouvelle-Zélande (Jacinda Ardern), à l’Islande (Katrín Jakobsdóttir), à la Finlande (Sanna Marin) et à la Norvège (Erna Solberg).

Les leaders québécoises interviewées par La Presse se réjouissent d’un tel constat. Mais elles croient qu’il serait réducteur d’avancer que c’est uniquement parce qu’elles sont des femmes qu’elles réussissent si bien à juguler la pandémie.

« Ce n’est pas parce qu’elles sont des femmes qu’elles sont plus efficaces pendant la crise », dit l’ancienne mairesse de Lac-Mégantic Colette Roy Laroche. « C’est parce qu’elles sont excellentes. Parce que les femmes qui sont dans un haut poste d’autorité, si elles sont là, c’est parce qu’elles sont vraiment excellentes. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Colette Roy Laroche, ancienne mairesse de Lac-Mégantic

Lorsque la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic est survenue en juillet 2013, le nom de Colette Roy Laroche n’était pas familier pour la majorité des Québécois. Mais du jour au lendemain, cette femme est devenue un exemple de courage, de communication et de leadership.

« Avant la tragédie, personne ne pouvait dire que j’étais une bonne leader qui pouvait gérer une crise. La tragédie l’a révélé. Et c’est ce qui se passe en ce moment partout dans le monde. Il y avait beaucoup de femmes qui occupaient des postes clés, mais dans l’ombre. Et tout d’un coup, on les découvre », dit Mme Roy Laroche.

Parité hommes-femmes

Quand elle a pris connaissance des données qui montrent que la COVID-19 a révélé l’efficacité du leadership féminin dans le monde, Isabelle Hudon a voulu en savoir plus. Elle a examiné la situation de quatre pays souvent nommés dans les médias internationaux et qui sont dirigés par des femmes : l’Allemagne, le Danemark, l’Islande et la Nouvelle-Zélande.

Sa conclusion est sans appel : ce n’est pas tant la présence d’une femme à la tête d’un État qui change la donne que les efforts menant à la parité en politique.

« Ces quatre pays se classent parmi les dix pays aux Parlements les plus féminisés. L’Islande occupe la première marche du podium », note l’ambassadrice du Canada en France, première femme à occuper ce poste.

Ces quatre pays ont notamment un pourcentage plus élevé de femmes ministres et de femmes parlementaires que la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, selon des données de 2017 qu’elle a comparées.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Isabelle Hudon, gestionnaire et ambassadrice du Canada en France

La richesse d’une équipe réside dans sa complémentarité de genres et d’expertises.

Isabelle Hudon, gestionnaire et ambassadrice du Canada en France

« Tu ne peux pas marcher seul pour gérer une crise. Tu dois être entouré d’une variété de points de vue. C’est notamment ce qui arrive lorsque tu as une bonne parité hommes-femmes », avance Isabelle Hudon, cofondatrice de L’effet A, initiative qui vise à propulser l’engagement professionnel des femmes.

L’ambassadrice ajoute qu’il ne faut cependant pas minimiser d’autres facteurs qui font qu’un État réussit mieux que d’autres à contrer la COVID-19, dont ses moyens scientifiques et financiers.

Qualités des femmes leaders

La nouvelle présidente d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, est tout à fait d’accord avec ces propos. « Il faut s’assurer de ne pas être consanguin », lance-t-elle à brûle-pourpoint, en évoquant ces organisations dirigées que par des hommes.

Pour prendre les meilleures décisions possible, il faut une « diversité de genres autour des tables ». « Idéalement, ce qu’on veut, c’est le regard le plus large possible sur les enjeux et occasions. »

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Sophie Brochu, présidente d’Hydro-Québec

Ce n’est pas une affaire de femmes, ce n’est pas une affaire d’hommes. C’est une affaire de société. Pour y arriver, il faut tendre vers la parité le plus rapidement possible.

Sophie Brochu, présidente d’Hydro-Québec

L’historienne Yolande Cohen a aussi remarqué que les pays qui réussissent bien à lutter contre la pandémie sont des endroits où les relations hommes-femmes sont « beaucoup plus égalitaires » et, par le fait même, où la population a une « plus grande capacité d’écouter les dirigeantes ».

Elle donne l’exemple de la « leader incontestée en Allemagne et dans le monde », Angela Merkel. « On parle beaucoup de communication en temps de pandémie, parce que les chefs doivent convaincre leurs citoyens de suivre des règles qui ne sont pas des règles habituelles, explique l’historienne. Mais ça ne sert à rien d’être une bonne communicatrice si personne ne t’écoute. Il faut qu’un certain pouvoir lui soit reconnu et que la population n’hésite pas à lui faire confiance. »

La biographe et chercheuse Jacqueline Cardinal croit aussi que Mme Merkel a toutes les qualités d’une bonne leader en cette période de crise sanitaire. « Les arguments d’autorité, ça ne marche plus en période de crise sanitaire. Ça prend quelqu’un qui est capable de convaincre, de se mettre à la place des autres. Et ça, les femmes l’ont généralement », dit l’auteure de l’ouvrage Cinq clés du leadership appliquées à cinq leaders internationaux.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Jacqueline Cardinal, biographe et chercheuse

Elle ajoute que François Legault a aussi cette qualité. Cependant, Donald Trump serait complètement à l’opposé. Jacqueline Cardinal ne mâche pas ses mots en qualifiant son leadership de « catastrophique », notamment parce qu’il est incapable de bien s’entourer et d’avoir une vision à long terme. Des qualités primordiales pour exercer un bon leadership pendant la pandémie.

« La crise actuelle oblige à demander l’avis d’experts. C’est l’une des forces des femmes d’être capables de consulter et de prendre en considération tout ce que les gens peuvent apporter à leur moulin », met en perspective la chercheuse à la Chaire de leadership Pierre-Péladeau de HEC Montréal.

L’après-COVID-19

L’historienne Yolande Cohen croit que le rapport hommes-femmes pourrait changer après la pandémie, puisque les travailleurs du milieu de la santé, qui compte énormément de femmes, sont revalorisés.

PHOTO FOURNIE PAR YOLANDE COHEN

Yolande Cohen, historienne

« Je pense qu’une société plus écologique et plus juste va nous permettre de considérer que la contribution des femmes ne peut plus être négligée à ce point », espère-t-elle.

Est-ce que plus de femmes auront envie d’occuper des postes de pouvoir après la crise ? Isabelle Hudon répond par l’affirmative. Notamment parce qu’au cœur de toutes réflexions et décisions entourant le virus, ce sont des êtres humains qui sont touchés. Et lorsque c’est le cas, les femmes se sentent beaucoup plus interpellées.

« En ce moment, les femmes ne sont pas mal à l’aise d’être sur la ligne de front et de parler haut et fort. Alors, j’ai l’impression qu’il y aura un “après” plus grand et plus fort pour elles. Elles n’hésiteront plus à s’impliquer et à se rendre visibles », conclut-elle.