Tout est annulé. L’école, les spectacles, les sports, les voyages, les sorties, les congrès, les projets. Tout est annulé parce qu’il le faut. Tout est annulé, sauf le printemps.

Le printemps n’a pas changé ses plans. Il est arrivé comme prévu. Il n’a pas besoin d’avion, le printemps. Il arrive par ses propres moyens. Il a débarqué, jeudi, à 22 h 50, précisément. Toujours à l’heure, le printemps. Il a remarqué qu’il n’y avait personne pour l’accueillir. Il a trouvé ça un peu bizarre. Puis, il s’est dit : ça doit être parce que cette année, j’arrive tard, le soir. Ils doivent être couchés. L’hiver a dû être éprouvant. Ils sont fatigués. Ils dorment.

Vendredi matin, il nous attendait, le printemps. Devant notre perron, à l’arrêt d’autobus, devant la station de métro, là, où on est d’habitude, le vendredi matin. Prêt à nous prendre dans ses bras. Encore personne. Il a commencé à s’inquiéter. Ça doit être parce qu’il pleut. Les humains n’aiment pas la pluie. C’est pour ça que son chum l’automne est tellement moins populaire que lui. Le printemps est parti se promener dans le ciel. En pensant : à demain, je vais m’arranger pour qu’il fasse beau. Un beau samedi de printemps, ils ne pourront pas résister, ils vont tous se jeter sur moi !

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Malgré la grisaille et la morosité ambiante, le printemps est bel et bien arrivé, rappelle notre chroniqueur.

On est samedi. Et il fait beau. Le printemps parcourt la ville : « Mais où sont-ils ? Mais où sont-ils ? Normalement, ces Québécois sont tellement intenses, tellement heureux de me voir, que même s’il fait encore froid, au premier rayon de soleil, ils enlèvent leurs gros manteaux, et sortent en t-shirt et en jupe, pour remplir les terrasses. » Personne nulle part. C’est effrayant. Le printemps angoisse.

Finalement, il voit une vieille dame sortir sur son balcon. Tout emmitouflée. Il s’approche d’elle. La vieille dame recule : 

«  Ne m’approchez pas, malheureux ! Vous ne connaissez pas la consigne ?

– Quelle consigne ?

– Il faut se tenir à au moins un mètre de moi.

– Pourquoi ? Vous êtes malade ?

– Je ne sais pas.

– Vous vous sentez bien ?

– Oui.

– Alors laissez-moi vous embrasser !

– Surtout pas ! Vous êtes qui d’abord, vous, monsieur ! ?

– Je suis le printemps ! »

Et le printemps fait une pirouette. Puis il enchaîne : 

«  Vous me connaissez, sûrement !

– Si je vous connais ? Ça, c’est certain. Ça fait longtemps que je vous connais, à part ça ! J’ai 80 printemps, moi, monsieur !

– Raison de plus pour me faire un câlin !

– Vous n’êtes vraiment pas au courant ! Tombez-vous du ciel ?

– On peut dire ça, comme ça.

– Vous n’avez pas Facebook, Instagram ou Twitter ?

– Non, mais j’ai les oiseaux.

– Les oiseaux ne vous ont pas dit que sur toute la terre, il y a une grande pandémie ? C’est le coronavirus. C’est très dangereux. Alors, pour ne pas le transmettre, on a annulé tous les rassemblements. On demande le confinement, surtout pour les personnes âgées, comme moi.

– Ah ! C’est pour ça qu’on dirait que la ville est fermée. Que personne n’est venu me chercher quand je suis arrivé.

– On vous aime toujours autant, mais il faut rester isolé. Il ne faut rien propager et il ne faut rien attraper.

– Je comprends tout. D’habitude, quand je viens ici, tout le monde est dehors. C’est la fièvre des séries. Tout le monde agite son drapeau tricolore.

– La fièvre des séries, ça fait un petit bout qu’on ne l’attrape plus. On est bien vaccinés pour ça.

– Ah bon… Mais, je me souviens, il n’y a pas si longtemps, il y avait plein de monde qui faisait du bruit avec des casseroles.

– Ça, c’était en 2012, le printemps érable. En 2020, c’est le printemps misérable. »

Et la dame se met à pleurer. Le printemps veut se rapprocher d’elle, mais il se retient : 

«  Ne pleurez pas madame. Ça va aller ? Avez-vous le droit au moins, de sortir un peu, de vous promener ?

– Oui ça, on peut. Mais seule.

–  Je vous promets que tous les jours, vous ne serez pas seule, je serai avec vous, quand vous ferez votre marche. Vous ne me verrez pas. Mais je serai là. Dans chaque feuille dans les arbres, dans chaque brin d’herbe, dans chaque rayon de soleil, dans chaque nuage blanc, dans chaque oiseau qui chante, dans chaque fleur qui renaît. Et quand je partirai, je dirai à l’été de vous accompagner, aussi. Il est tellement chaleureux, lui. Ça va bien aller. On peut tout arrêter. Sauf la vie. La vie ne s’arrête pas. La vie continue. Toujours. Et il faut tout faire pour continuer avec elle. Alors, faites ce qu’on vous dit, et l’année prochaine, je serai là, bien sûr, et vous serez là aussi. Et on pourra se sauter dans les bras. »

La dame fait un léger sourire. Quitte son balcon. Et rentre chez elle.

Le printemps s’assoit dans le parc. Seul. Comme il ne l’a jamais été.

Les temps seront durs. Mais le printemps restera.

Les temps seront durs. Mais le printemps reviendra.