(Ottawa) Le gouvernement fédéral se demande s’il doit invoquer la Loi sur les mesures d’urgence (qui a remplacé la Loi sur les mesures de guerre) pour se donner des pouvoirs supplémentaires dans la lutte contre la propagation rapide de la COVID-19.

La vice-première ministre Chrystia Freeland a souligné mardi que la loi ne serait invoquée qu’en « dernier recours ».

Mais au moins une organisation de défense des libertés civiles met déjà en garde contre son utilisation.

« Nous demandons instamment au gouvernement fédéral de faire preuve de la plus grande retenue dans l’examen de la Loi sur les mesures d’urgence, qui accorde des pouvoirs exceptionnels, notamment la réglementation de la mobilité et le déplacement forcé de biens personnels qui pourraient violer les libertés civiles des individus et de certains groupes de personnes », a indiqué Harsha Walia, la directrice générale de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, dans un communiqué.

« Nous exhortons le gouvernement fédéral à mettre en œuvre des mesures en vertu d’autres lois fédérales et provinciales pour réagir de manière appropriée et urgente à la COVID-19 sans créer de conséquences imprévues pour les libertés civiles et les droits de la personne », est-il écrit.

Mme Walia a rappelé au gouvernement que la Loi sur les mesures de guerre, la loi qui précédait l’actuelle Loi sur les urgences, « était une parodie » des libertés civiles pendant les Première et Seconde Guerres mondiales et la crise d’octobre 1970.

Cependant, la loi actuelle confère au gouvernement fédéral des pouvoirs beaucoup plus limités et spécifiques que sa prédécesseure plus draconienne.

En vertu de la Loi sur les mesures de guerre, adoptée après le début de la Première Guerre mondiale en 1914, le gouvernement était habilité en temps de guerre à censurer ou interdire les journaux et les magazines, à interdire les organisations politiques, religieuses ou culturelles, à imposer des contrôles des salaires et des prix, à saisir la propriété des soi-disant « étrangers ennemis » et de les expulser ou les interner sans inculpation.

Le défunt père de Justin Trudeau, l’ancien premier ministre Pierre Trudeau, a invoqué la Loi sur les mesures de guerre pendant la crise d’octobre, lorsque le Front de libération du Québec (FLQ) avait fait exploser des bombes, kidnappé un diplomate britannique et assassiné un ministre québécois. Cette situation avait entraîné la présence massive de patrouilles militaires dans les rues du Québec et des centaines de Québécois avaient été jetés en prison sans que des accusations soient portées.

À la suite de l’indignation suscitée par les violations des libertés civiles, la Loi sur les mesures de guerre a été remplacée en 1988 par la Loi sur les mesures d’urgence, qui empêche le Cabinet d’imposer unilatéralement des mesures d’urgence et autorise un éventail d’options plus limité.

La loi permet à Ottawa de faire une « déclaration de sinistre », au cours de laquelle elle pourrait notamment :

– Réglementer ou interdire des déplacements à destination, en provenance ou à l’intérieur d’une zone désignée

– Mettre sur pied des abris et des hôpitaux d’urgence

– Réglementer la distribution et la mise à disposition des denrées, de ressources et de services essentiels

– Ordonner à toute personne compétente de fournir des services essentiels

– Ordonner l’évacuation de personnes et l’enlèvement de biens mobiliers

– Imposer des sanctions pouvant aller jusqu’à 5000 $ ou cinq ans de prison à toute personne qui enfreint les règles d’urgence

Elle impose également que toutes les mesures respectent la Charte des droits et libertés, qui permet au gouvernement d’imposer uniquement des limites « raisonnables » aux libertés civiles et ces limites doivent être justifiées dans une société libre et démocratique.

La loi exige également que le gouvernement accorde une « compensation raisonnable » à toute personne qui subit « des pertes, des blessures ou des dommages » à la suite de mesures d’urgence.

En vertu de la loi actuelle, le gouvernement fédéral doit consulter chaque province et territoire qui sera touché avant d’effectuer une « déclaration de sinistre », qui expirerait après 90 jours à moins qu’elle ne soit révoquée ou prolongée.

Une déclaration de sinistre (et toute extension de celle-ci) entrerait en vigueur immédiatement. Mais dans les sept jours, le gouvernement devrait présenter une motion demandant l’approbation parlementaire à la Chambre des communes et au Sénat, avec une explication des raisons de la déclaration de sinistre et une description des consultations entreprises avec les gouvernements provinciaux.

La motion devrait être débattue pendant un maximum de 10 heures avant le vote. Si l’une ou l’autre des chambres du Parlement rejetait la motion, la déclaration de sinistre serait immédiatement annulée.

Chaque décret ou règlement pris en vertu de la déclaration devrait être présenté au Parlement pour approbation dans les deux jours suivant son adoption.

Le gouvernement serait également tenu de créer un comité multipartite composé de députés et de sénateurs pour examiner toutes les mesures imposées en vertu de la déclaration de sinistre. Ce comité serait habilité à adopter des motions obligeant le gouvernement à modifier ou à révoquer toute mesure. Il serait également nécessaire de faire rapport au Parlement au moins une fois tous les 60 jours pendant l’urgence.

Une fois l’urgence déclarée terminée, le gouvernement devrait ouvrir dans les 60 jours une enquête sur les circonstances qui ont conduit à la déclaration de sinistre et les mesures prises pour y faire face.