Le ministère de l’Éducation doit agir sans tarder pour que les écoles offrent des collations saines, réclament des experts en santé, convaincus qu’on rend les enfants malades.

« Scandaleux »

La Dre Julie St-Pierre, spécialiste en obésité infantile, traite de nombreux jeunes à la Clinique 180 et se bat contre l’aide alimentaire de mauvaise qualité : « Des parents pleurent tous les jours dans mes bureaux, parce qu’ils font plein d’efforts pour que leur enfant mange bien à la maison, mais que l’école le bourre de cochonneries ! D’autres achètent des aliments transformés parce qu’ils vivent de l’insécurité financière. Les enfants démunis souffrent donc plus d’obésité. Et que fait l’école ? Elle leur sert des aliments qui vont les rendre encore plus malades ! C’est scandaleux ! Le Guide alimentaire canadien est excellent et s’applique à tous – y compris au système scolaire, censé enseigner la base des bonnes habitudes de vie. Ils n’ont aucune défaite valable et doivent arrêter de donner des calories vides à des enfants en pleine croissance. Commander des fruits et des légumes à l’épicerie, ce n’est pas plus long que de commander des barres tendres et des biscuits Pattes d’ours. Les écoles pourraient aussi faire des partenariats avec nos producteurs, pour offrir des fruits et des légumes, et des protéines comme des œufs et du fromage. Les Américains viennent d’adopter des normes pour que les aliments servis dans leurs écoles contiennent moins de sucre et de sel. »

« Discutable sur le plan moral »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le chercheur en nutrition Jean-Claude Moubarac

Le professeur Jean-Claude Moubarac, du département de nutrition de l’Université de Montréal, a codéveloppé la classification Nova, qui permet d’identifier les aliments ultratransformés : « Les collations au goût sucré éloignent les enfants des pommes, des noix et du yogourt nature, qui sont beaucoup plus sains. L’école doit donner l’exemple et les aider à développer de bonnes préférences. Mais ce que j’ai vu à celle de ma fille la semaine dernière, c’est à s’arracher les cheveux – des Pattes d’ours, des yogourts sucrés ! Attendre pour corriger la situation, sous prétexte qu’une nouvelle politique du gouvernement arrivera l’an prochain, me semble inacceptable et discutable sur le plan moral. Le centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) est déjà en retard. Le nouveau Guide alimentaire canadien est sorti depuis plus de quatre ans et, comme parent, on veut que nos enfants en profitent sans tarder. »

Des sommes « nettement insuffisantes »

PHOTO FOURNIE PAR LUCIE LAURIN

La nutritionniste Lucie Laurin, responsable du projet Écollation

La nutritionniste Lucie Laurin gère le projet Écollation à l’Association québécoise de la garde scolaire. Il a permis à 24 écoles de 6 régions d’offrir quotidiennement des fruits et des légumes de 2017 à 2023. L’Association peut maintenant guider les écoles qui veulent faire le saut : « Servir des fruits et des légumes à tous les enfants, ça se fait très bien, même s’il faut relever des défis pour les entreposer, les préparer et les faire livrer. Des écoles se sont arrangées avec leur distributeur, leur personnel, leurs élèves ou avec des organismes communautaires. Et l’expérience a été très appréciée ! Certains enfants sont devenus plus attentifs en classe, d’après les enseignants. Mais depuis la fin du projet-pilote, moins de la moitié des écoles continuent. L’enjeu, c’est vraiment l’argent ! À Montréal, les budgets sont plus élevés, puisqu’on trouve plus de milieux défavorisés. Mais ailleurs, selon nos calculs, le ministère de l’Éducation verse, en moyenne, seulement 35 % des sommes nécessaires pour acheter les denrées et faire rouler le programme1. C’est nettement insuffisant ! Il doit aussi couvrir les coûts de main-d’œuvre, parce que les écoles, qui manquent de tout, sont forcées de faire du bénévolat. Certaines pourraient aussi demander une petite contribution aux parents ou chercher d’autres sources de financement. »

1. Offrir un fruit ou un légume cinq jours par semaine coûte entre 108 $ et 144 $ par enfant par année scolaire, a constaté l’Association lors de son projet-pilote. Environ la moitié de cette somme sert à acheter les aliments (qui reviennent à 0,60 $ ou 0,80 $ par enfant, par jour). Le reste permet de financer la main-d’œuvre.

Consultez le site d’Écollation

Chaque école fait à sa façon

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Corinne Voyer, directrice du Collectif Vital

Corinne Voyer dirige le Collectif Vital, qui milite pour l’adoption d’habitudes saines et a contribué à déclencher l’enquête de la protectrice régionale de l’élève, en analysant la qualité des collations servies au CSSDM : « La situation des collations à Montréal n’est sûrement pas unique. On a fait des sondages dans tout le Québec en 2017, et chaque école appliquait la politique-cadre pour un virage santé à sa façon. C’était extrêmement variable. Il y avait de bons coups à certains endroits, mais encore beaucoup d’aliments en sachet, parce que, depuis l’adoption de la politique en 2007, les écoles ne sont pas assez soutenues. La majorité des centres de services scolaires n’ont même pas de nutritionniste ! Le ministère de l’Éducation doit absolument offrir un accompagnement et faire des suivis. Notre Collectif revendique depuis des années que la politique-cadre soit enchâssée dans la Loi sur l’instruction publique, pour que son application soit plus sérieuse. Les collations sont importantes puisqu’elles permettent de combler la faim des enfants et de leur donner de l’énergie jusqu’au prochain repas. Elles devraient idéalement être constituées d’une source de protéines accompagnée d’un fruit, d’un légume ou d’un aliment à grains entiers. »

Les propos des experts ont été adaptés par souci de concision.