Si vous regardez autour de vous en ce printemps qui bat son plein, vous verrez des plantes qui, en préparation de la belle saison, investissent d’abord leur énergie dans la fabrication de fleurs bien avant de produire des feuilles. Grâce à ce phénomène, les magnolias nous offrent une floraison des plus spectaculaires.

Ils font partie de ce groupe de végétaux dits protéranthes. Ce qualificatif désigne toutes les espèces qui, en sortant de leur dormance, consacrent prioritairement leur énergie à la production d’une descendance potentielle avant de développer un feuillage.

Cela dit, loin de vouloir m’étendre sur ce phénomène, je l’évoque simplement ici pour mieux parler d’investissement parental. Je l’utilise dans cette chronique pour rappeler qu’on gagne à fêter les mamans à la hauteur du grand investissement parental que la nature leur a imposé.

En cause, chez les mammifères que nous sommes, la reproduction sexuée, un partenariat « inéquitable » entre mâles et femelles. Dans cette entreprise énergivore qui favorise la perpétuation des gènes, ce sont les femelles qui payent le plus lourd tribut, elles qui assurent la gestation, l’accouchement et l’allaitement des petits.

Elles font tout ce travail pour assurer leur descendance au partenaire mâle qui, chez la grande majorité des espèces, a pris le large ou s’est désengagé du projet après la saison des amours. C’est comme si, dans un partenariat entrepreneurial à deux, un seul se tapait toute la besogne pour ne récolter que la moitié des bénéfices. C’est cette apparente injustice qui a amené des biologistes de l’évolution à considérer que les femelles étaient naturellement désavantagées dans ce mode de reproduction.

Rappelons ici que bien avant la grossesse, la maman produit un énorme ovocyte là où le mâle amène un minuscule spermatozoïde. Cette contribution masculine étant microscopique devant l’ovocyte, la rencontre entre les deux équivaut à celle d’un têtard amoureux d’une éléphante.

Et si l’ovule est aussi imposant, c’est parce qu’il a emmagasiné les « repas » nécessaires aux premiers stades du développement de l’œuf fécondé. Cette Big Mama garde en son sein assez de réserves pour que le fœtus en devenir puisse amorcer son développement, le temps qu’on le branche au système circulatoire pour la suite de son histoire intra-utérine.

L’investissement parental, c’est donc l’ensemble des soins apportés par les parents aux enfants pour les outiller dans la course pour la vie qui perpétue les gènes. Un parcours pendant lequel, sans rien enlever au papa, la maman aimante joue le rôle d’entraîneuse, de psychologue, de nutritionniste et de médecin pour préparer et aider son enfant à faire une bonne course.

Je reprends dans cette image de course la formule de Cyrille Barrette, dont j’admire particulièrement l’esprit. Ce biologiste et professeur émérite de l’Université Laval est certainement celui qui a trouvé la plus édifiante allégorie pour vulgariser cette part de nos gènes dans notre perpétuation. Dans son formidable bouquin intitulé La vraie nature de la bête humaine, il compare notre existence à une course à relais :

« Dans une course à relais, les coureurs sont comme les individus, le bâton (le témoin) qu’ils se passent est similaire aux gènes. Chaque athlète est un porteur temporaire du bâton qu’il a reçu du coureur précédent et qu’il va passer au suivant. Seul le bâton participe à toute la course et c’est lui qui gagne en franchissant la ligne d’arrivée. Cependant, il ne peut pas courir tout seul, sans les coureurs, il ne va nulle part et si l’un des participants l’échappe, la course est terminée et perdue, pour le bâton et pour les coureurs. Dans la vie, c’est semblable. Chaque individu est porteur temporaire d’un échantillon reçu pour moitié de son père et pour moitié de sa mère, et qu’il lègue à ses enfants ; s’il en a. Cette continuité du témoin c’est-à-dire des gènes qui passent d’un humain à un autre depuis toujours est la seule façon pour un être vivant d’aspirer à l’immortalité via celle de son ADN. »

Dans le modèle de Cyrille, on peut ajouter que le coureur qui passe le témoin au suivant doit l’accompagner pendant ses premiers mètres sur la piste avant de ralentir. Cette partie du trajet, où le précédent encourage son relayeur, symbolise l’investissement parental qui aide les enfants à atteindre leur vitesse de croisière. Évidemment, quand le témoin est passé et que le receveur s’éloigne, les parents ralentissent, trottinent en marge de la piste et finissent par s’arrêter et regarder l’enfant courir. Ils savent que la suite de leur histoire est entre bonnes mains.

Lorsque leur rejeton passe le bâton à son tour, il applaudit ce troisième relayeur en même temps que ses parents devenus grands-parents. Ces derniers continuent d’encourager leurs petits-enfants tout en avançant tranquillement vers la sortie du stade.

C’est la métaphore de la plante de maïs, dont le mûrissement de l’épi annonce le début du jaunissement et la mort de sa porteuse. Compatissante, la nature se consacre alors à rassurer la plante mère en lui expliquant qu’il y a une version miniature d’elle dans chaque graine de cet épi pour lequel elle a donné sa vie. C’est aussi pour cette raison que les magnolias investissent dans leur avenir avant de s’occuper du présent.

Ce corps que nous chérissons tant n’est que l’emballage le plus élaboré que la nature a trouvé pour transporter ce qui est immortel en nous : nos gènes. Si mère Nature a placé cette immortalité dans la rencontre entre un spermatozoïde et un ovule, c’est parce qu’elle savait qu’investir de temps en temps dans une voiture neuve était plus intelligent et durable que de retaper le même vieux moteur pour l’éternité.

Cela dit, il n’y a pas que les gènes comme façon de laisser des traces de son être. Chez les animaux culturels que nous sommes, le sexe n’a pas juste une fonction reproductive. Il inclut des dimensions socioaffectives qui sont aussi importantes et pertinentes que le fait de passer son ADN à la génération suivante.

S’il est vrai, comme disent les Malgaches, qu’un humain n’est vraiment mort que lorsque les vivants l’ont oublié, aimer et être aimé laissent aussi des traces d’immortalité. Adopter un enfant, l’élever dans l’amour et semer du bien sont aussi de belles façons de laisser des empreintes de vie.

Tout ce long texte pour simplement dire : « Bonne fête à toutes les mamans qui ont porté leurs enfants dans leur ventre, mais aussi à celles qui les ont portés dans leur cœur avant de leur donner des racines et des ailes ! »