Quand Josée Scalabrini prononce la phrase en interview, la réalité la rattrape.

Elle inspire profondément et reprend son souffle. « Oui, après 11 ans à titre de présidente de la FSE [Fédération des syndicats de l’enseignement], je vais quitter en juin. »

La plupart de ses membres doivent l’apprendre en lisant ce texte.

Je voulais profiter de son recul pour parler de l’évolution du réseau.

Depuis son élection à la vice-présidence puis à la présidence de la FSE, elle a vu passer neuf ministres. Elle aurait préféré en voir moins. « Le manque de stabilité a fait mal au réseau », déplore-t-elle.

La cause ? Le roulement à la tête du ministère de l’Éducation, mais aussi sa politisation.

Le solage du réseau est de plus en plus fragile. Les politiciens disent tous que l’éducation, c’est leur priorité. Mais ils arrivent avec leurs solutions en campagne, et une fois au pouvoir, ils doivent les réaliser. On ajoute des étages au lieu de renforcer les fondations.

Josée Scalabrini, présidente de la FSE

Cette fondation fragile, c’est celle d’un système à trois vitesses où les élèves en difficulté ont été intégrés à la classe ordinaire sans que les ressources suivent.

Et les étages ? Elle donne l’exemple des maternelles 4 ans, priorité de François Legault. L’idée était bonne, tient-elle à préciser. « Mais ça n’aurait pas dû être du mur-à-mur. On manquait déjà de locaux et de profs, et ça a empiré le problème. »

Mme Scalabrini ne veut pas cibler la CAQ. La même tendance existait chez les libéraux, avec l’anglais intensif ou les tableaux blancs intelligents. « Certains sont restés dans la salle de fournaise, les enseignants n’en voulaient pas », raconte-t-elle.

La présidente sortante de la FSE n’est pas rassurée par la création d’un Institut national d’excellence en éducation, qui doit utiliser les données probantes pour déterminer les meilleures pratiques. « On aurait voulu plus de garanties pour protéger l’indépendance de l’Institut par rapport au Ministère », dit-elle.

Mme Scalabrini ne veut pas partir en donnant l’impression de régler des comptes. Elle souhaite profiter de sa fin de mandat pour élargir la réflexion sur le rôle de l’école.

Quand la sédentarité des jeunes, les violences sexuelles ou l’analphabétisme financier font la manchette, la solution est toujours la même : ajouter un cours.

Prises de façon isolée, les idées peuvent toutes sembler bonnes. Le problème, c’est qu’elles s’accumulent. Or, il y a une limite au nombre d’heures dans une journée. Ces demandes alourdissent aussi la tâche des enseignants, qui ne reçoivent pas toujours la formation requise.

« Comme société, à quel point veut-on que l’école règle tous nos problèmes ? »

Mme Scalabrini a commencé sa carrière comme enseignante à la polyvalente Saint-Joseph de Mont-Laurier. Elle y donnait le cours de morale et de religion.

« Je ne viens pas d’un milieu syndicaliste. J’avais des préjugés, pour être honnête… Mais puisque je m’intéressais aux conditions de travail, on m’a proposé de m’impliquer… »

Durant sa carrière, Mme Scalabrini a eu devant elle tout un catalogue de ministres. Celui avec qui le travail était le plus facile ? Le libéral Sébastien Proulx. « Il était accessible. S’il était en désaccord, il le disait, mais il pouvait considérer un autre point de vue que le sien et il écoutait. »

Durant la pandémie, les syndicats ont été accusés de toujours critiquer les solutions proposées. Mme Scalabrini s’en défend. « On voulait relayer rapidement le point de vue des gens sur le terrain pour identifier les bonnes solutions. Mais ce qui nous dérangeait, c’était d’apprendre les décisions en direct au point de presse du premier ministre. Le ministère de l’Éducation était parfois aussi dans la même position. »

Elle regrette toutefois d’avoir qualifié à chaud d’« épouvantable » la demande aux profs de contacter leurs élèves durant un confinement. « Je n’étais pas contre le principe. Ce que je craignais, c’est que des enseignants ne réussissent pas à le faire – certains étaient eux-mêmes des parents débordés. J’avais peur que des enfants soient oubliés. »

L’Éducation est un ministère casse-gueule. Vu de l’extérieur, on a l’impression que toute proposition finira par être dénoncée par au moins un groupe.

La pénurie d’enseignants est réelle. On estime que près de 20 % des gens quittent la profession après cinq ans. Les syndicats ont pour mission de se battre pour obtenir de meilleures conditions de travail. En ce sens, leurs dénonciations sont utiles.

Mais en insistant sur ce qui va mal, ne risquent-ils pas de décourager les jeunes de s’inscrire dans les facultés d’éducation ?

Mme Scalabrini reconnaît que l’équilibre est délicat, mais elle ne croit pas être allée trop loin.

« Quand je suis arrivé à la FSE, on a constaté que les enseignants ne se trouvaient pas valorisés, même si selon les sondages, c’était une profession qui était jugée parmi les plus importantes pour la société. On a demandé pourquoi aux membres. Ils nous ont dit : c’est parce que vous ne parlez jamais du beau. » La FSE a donc lancé en 2012 la campagne « Prof, ma fierté ». Deux colloques sur ce thème ont été organisés, et d’autres suivront.

Ses autres priorités à la FSE furent de mettre aussi l’accent sur le travail pédagogique et la modification des pratiques syndicales. Elle devait partir avant la dernière négociation de convention collective. Elle avait accepté de prolonger son mandat, en prévenant qu’elle ne le terminerait pas.

En terminant l’entrevue, difficile de ne pas parler du schisme à la FSE qui a mené à la création de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), peu avant son arrivée à la vice-présidence.

Elle hésite à s’exprimer à ce sujet. Les deux syndicats devraient-ils collaborer davantage ? « On les a approchés, se souvient-elle. Ils nous ont répondu : si on est devenus autonomes, ce n’était pas pour travailler avec quelqu’un d’autre. Mais ce sera aux membres de décider s’ils veulent changer cela. »