Je vous propose en cette fin d’année un conte de Noël, édition municipale. Il faudra faire preuve d’un peu d’imagination, mais ça vaudra le coup, promis.

Dans cette version, le pays des glaces est en fait un ancien dépotoir hautement contaminé.

Le chariot du père Noël, un camion-benne rempli de pierres concassées.

Et les lutins, des cols bleus.

Féerique, je vous disais.

Comme dans tout conte de Noël qui se respecte, il y a aussi un miracle à la clé : une économie annuelle de 1 million de dollars pour les contribuables.

Trêve de suspense. Je vais vous parler de gestion des sols contaminés.

Pas très festif, d’accord. Mais c’est pourtant l’une des histoires montréalaises qui m’ont le plus réjoui ces derniers mois, au travers des campements de sans-abri qui pullulent, des scandales de dépenses de l’OCPM, des hausses de taxes énormes et de la morosité générale qui semble flotter sur la ville.

La genèse de l’affaire remonte à 2019. À l’époque, le Bureau de l’inspecteur général (BIG) de Montréal publie un rapport accablant sur la gestion des sols contaminés dans la métropole1. Déversements illégaux, intimidation sur les chantiers, présence du crime organisé : le topo n’a rien de rassurant.

Les déchargements sauvages cités dans le rapport ne provenaient pas des chantiers municipaux, mais le BIG en a quand même profité pour faire quelques recommandations à la Ville.

La principale : créer ses propres sites pour traiter les sols en provenance de ses chantiers, plutôt que de leur faire parcourir des dizaines de kilomètres jusque chez des sous-traitants. Parfois jusqu’à Sainte-Sophie, dans les Laurentides.

C’est ainsi que s’est amorcé un projet pilote dont les résultats ont dépassé toutes les attentes.

Le service de la concertation des arrondissements, dirigé par Martin Savard, a eu l’idée de réutiliser le site d’un ancien dépotoir municipal fermé dans les années 1960, lourdement contaminé, situé près de l’autoroute Bonaventure, à côté des studios MELS.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Vue aérienne du Parc d’entreprises de la Pointe-Saint-Charles, où les sols excavés sont transportés pour y être traités

À partir de 2021, trois arrondissements ont commencé à y envoyer tous les sols excavés pendant leurs travaux de voirie, comme les réparations au réseau de distribution d’eau. Cinq autres ont depuis embarqué dans le projet, pour un total de huit arrondissements.

J’ai visité les lieux par une journée glaciale de décembre, et ça ne ressemble pas à grand-chose, pour tout vous dire. Des monticules de morceaux de ciment et de terre brune, entassés dans des cases de béton.

Pourtant, ce site et toutes les façons de faire qui s’y rattachent constituent une mini-révolution pour la gestion des sols usés.

Je vous explique la chose.

Tout d’abord, l’entreposage des sols excavés est maintenant 100 % sûr, sur le plan environnemental. Cet ancien dépotoir est doté de son propre système de traitement des eaux souterraines, construit par la Ville en 2022 pour capter et traiter le « jus de poubelle » qui s’écoulait dans le fleuve2. Tout est étanche ici, ce qui n’était pas le cas partout dans les anciens sites.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Chaque arrondissement a une case bien identifiée, où il dépose ses sols excavés. Cela permet de faire des analyses distinctes sans tout mélanger.

Le ballet des camions qui entrent et sortent est rodé au quart de tour – il y a eu plus de 10 000 voyages cette année. Chaque arrondissement a sa propre « case » bétonnée, où il vient déposer ses sols usés. Des tests sont réalisés pour détecter la présence de contaminants, et c’est là l’autre aspect très positif, voire surprenant, de ce projet.

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La « case » réservée aux sols excavés à Verdun. À l’arrière-plan, une rame du Réseau express métropolitain.

Alors qu’auparavant, on envoyait tout simplement la majeure partie des sols en périphérie de Montréal, présumant qu’ils étaient contaminés, les tests réalisés ici ont permis de constater que 85 % des sols excavés sont en fait de qualité A/B.

En français, cela signifie qu’ils peuvent être réutilisés tels quels, après tamisage, pour faire du remblayage dans différents projets municipaux. Quelque 43 000 tonnes de sols A/B ont ainsi servi à la création du nouveau parc Frédéric-Back.

Les bénéfices sont triples pour la Ville – et par ricochet pour les contribuables montréalais.

A) La Ville n’a plus à payer pour envoyer ses sols usés chez des sous-traitants ; ses employés s’en chargent.

B) Elle n’a plus à acheter de la nouvelle terre pour le remblayage, puisqu’elle réutilise ses propres sols.

C) Des tonnes de gaz à effet de serre (GES) ne sont plus émises par les camions-bennes, qui font maintenant des trajets plus courts pour décharger leurs sols excavés ET repartir avec une cargaison fraîchement tamisée.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

L’élue Maja Vodanovic, membre du comité exécutif, et Martin Savard, directeur du service de la concertation des arrondissements, pendant notre visite

« C’est gagnant au boutte », m’a lancé Martin Savard pendant la visite, en énumérant une série de chiffres avec enthousiasme.

Car les chiffres, oui, sont impressionnants.

Pendant la dernière année, quelque 55 000 tonnes de sols ont été acheminés ici, et 85 % ont pu être réutilisés, ce qui représente une économie d’environ 700 000 $ pour la Ville.

Le site a aussi commencé à concasser les gros blocs de béton, 6000 tonnes cette année, pour en faire du gravier réutilisable. Un autre 275 000 $ épargné. On frôle ainsi le million en économies, avec une force de travail somme toute minimale : trois cols bleus et un contremaître gèrent tout le site.

Des économies, en GES et en dollars, qui réjouissent Maja Vodanovic, membre du comité exécutif de Montréal responsable de la concertation avec les arrondissements. « C’est la manière dont il faut faire l’environnement selon moi : il faut que ce soit gagnant pour tout le monde, sinon, personne ne va investir dans quelque chose qui est perdant », m’a-t-elle glissé pendant notre visite.

La demande excède la capacité du site de Pointe-Saint-Charles, au point que certains arrondissements se sont vu refuser d’y déposer leurs sols excavés.

La Ville compte ouvrir au moins un centre similaire ailleurs dans l’île, peut-être davantage. Le modèle pourrait même être adopté en dehors de Montréal : des délégations de plusieurs autres villes québécoises et même de Belgique sont venues étudier les façons de faire mises en place ici.

Quant au million de dollars économisé, oui, il représente une goutte d’eau dans le budget de 6,99 milliards de la Ville de Montréal.

Mais l’ingéniosité et les efforts qui ont permis de l’atteindre, ce million, franchement, doivent être salués. Et idéalement, reproduits dans toutes les divisions de l’appareil municipal, pour ramener les dépenses à un niveau plus digeste pour les contribuables.

Du fond de mon cœur (de pierre), chers lecteurs, je vous souhaite un excellent temps des Fêtes et une bonne année 2024.

Santé !