On n’aurait pas idée, au Québec, en 2023, de mettre sur pied un comité de sages sur la condition féminine qui n’inclurait aucune femme.

Il fut une époque où ça passait comme une lettre à la poste. Il y a encore des sociétés où c’est le cas. Pensez à ces groupes de messieurs législateurs dans certains États américains qui s’arrogent le droit de décider entre hommes du sort de l’avortement en ignorant les femmes qui crient « Mon corps ! Mon choix ! ».

Dans une société progressiste comme la nôtre, ça ne passerait pas, se dit-on.

Pourquoi la sagesse élémentaire qui vaut pour la condition féminine ne vaudrait-elle pas aussi pour le comité sur l’identité de genre créé par le gouvernement Legault ? Comment expliquer qu’aucune personne trans ou non binaire ne fasse partie d’un comité chargé de se pencher sur des questions délicates et complexes qui les touchent directement ? Est-ce normal de décider entre cisgenres de ce qui vaut le mieux pour des personnes qui ne le sont pas ?

Ma consœur du Devoir Marie-Michèle Sioui a soulevé le débat, mardi, en posant à la présidente du comité de sages fraîchement nommée, Diane Lavallée, une question des plus pertinentes : aurait-on imaginé un comité sur la condition féminine qui aurait exclu les femmes de ses rangs ?

« Probablement pas », a dû admettre Mme Lavallée, qui est elle-même une ancienne présidente du Conseil du statut de la femme, dont l’un des mandats consiste à étudier la condition féminine.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Diane Lavallée, présidente du comité de sages

Il ne s’agit pas ici de décréter que Mme Lavallée et les deux autres « sages » choisis par la ministre de la Famille, Suzanne Roy, pour faire partie de ce comité – le DJean-Bernard Trudeau, médecin de famille et ancien directeur général adjoint du Collège des médecins du Québec, et Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel et de droits et libertés de la personne à l’Université Laval – n’ont pas leur place autour de la table.

Il s’agit plutôt de se demander pourquoi, si on jugeait que c’était vraiment nécessaire de mettre sur pied ce comité, on a choisi une si petite table à laquelle les principaux concernés et les experts scientifiques spécialisés dans ces questions n’ont même pas été conviés.

Ce qui pose problème ici, ce ne sont pas les personnes présentes, mais bien celles qui brillent par leur absence alors que leur savoir et leurs réflexions seraient essentiels.

La ministre Roy a bien tenté de justifier cette absence en disant que le comité n’avait pas un mandat de « représentation ». Elle a aussi répété qu’il n’était pas question non plus pour le gouvernement de reculer sur des droits acquis pour les personnes trans et non binaires.

Le comité pourra par ailleurs compter sur la collaboration du Conseil québécois LGBT, dont les mises en garde ont, ironiquement, été ignorées par le gouvernement – son directeur général s’était ouvertement opposé à la création d’un comité de sages qui n’inclut pas des personnes directement concernées ou des experts1.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Mona Greenbaum, directrice générale de la Coalition des familles LGBT+

« On peut comprendre si le gouvernement ne souhaite pas faire appel à des personnes militantes par souci de neutralité. Mais pourquoi pas des chercheurs spécialisés dans ces questions ? », demande Mona Greenbaum, directrice générale de la Coalition des familles LGBT+. Son organisme a lui-même envoyé au gouvernement plusieurs suggestions d’experts qui auraient pu faire partie du comité de sages. Elles n’ont visiblement pas été retenues.

Au lieu de réinventer la roue sur un sujet aussi complexe, Québec aurait aussi pu faire appel à l’expertise de son Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie, observe Mme Greenbaum. Mais là encore, le gouvernement semble oublier qu’on est loin de partir de zéro, comme l’avait déjà souligné la députée solidaire Manon Massé2.

Tout ça suscite beaucoup d’appréhension chez les principaux concernés, qui voient très concrètement, avec l’importation des États-Unis de paniques morales autour de l’identité de genre, les effets néfastes de l’instrumentalisation politique de ces enjeux par la droite conservatrice ou religieuse.

En plus de 30 ans de travail au sein de la communauté, Mme Greenbaum dit avoir toujours été témoin d’avancées dans la lutte pour les droits des personnes LGBTQ+. « Parfois, ça se faisait plus lentement. Parfois, plus rapidement. »

Mais aujourd’hui, elle s’inquiète. « J’ai 60 ans, et c’est la première fois dans ma vie que je commence à voir des reculs. Pas au Québec, mais ailleurs au Canada, c’est certain. »

Si le Québec est plus progressiste, on aurait tort de penser qu’il est à l’abri du vent conservateur qui souffle, comme en témoigne la montée de la transphobie dans les écoles rapportée par des organismes sur le terrain. « Ça nous fait peur parce qu’il est beaucoup question des personnes trans dans les médias. Et chaque fois, ça met de l’huile sur le feu. »

Souhaitons que le comité de sages, en dépit des importantes maladresses qui ont marqué sa création, puisse malgré tout calmer le jeu.

1. Lisez « Pas de personnes trans ou non binaires parmi les “sages” de Québec » 2. Lisez « Comité de sages (pas si sage) »