Quand on parle du Canada et du climat, il est difficile d’être factuel sans faire de la peine à quelqu’un. Ce sera néanmoins l’ambition de cette chronique.

Pour décrire le rôle du Canada, le terme « leader » n’est pas le premier qui vient en tête. Il est le seul membre du G7 à ne pas avoir réduit ses émissions de gaz à effet de serre (GES) sous le niveau de 1990.

Depuis 2005, il affiche la plus faible baisse. À peine 9 %. Et les deux seules périodes de réductions significatives étaient dues à des accidents : la crise économique de 2008 et la COVID-19⁠1.

Pourquoi est-ce si difficile pour le Canada d’agir ? Le blocage va au-delà des individus. Ses sources sont plus profondes.

La première, c’est l’alternance entre libéraux et conservateurs. Les rouges n’ont pas besoin d’en faire beaucoup pour mieux paraître que les bleus. Et inversement, dès qu’ils font le minimum, on les traite de radicaux.

Les libéraux sont donc doublement incités à en faire un peu, mais pas trop. Et ce qu’ils construisent menace toujours d’être défait par l’autre parti de pouvoir.

La deuxième, c’est la Constitution. L’environnement est une compétence partagée entre le fédéral et les provinces. Au Canada, la hausse des GES provient de l’industrie pétrolière et gazière, concentrée dans les Prairies.

Émissions de GES entre 1990 et 2021

Alberta : + 91 mégatonnes (+ 55 %)

Saskatchewan : + 25 mégatonnes (+ 59 %)

Ontario : - 28 mégatonnes (- 8 %)

Québec : - 7 mégatonnes (- 9 %)

Source : Rapport d’inventaire national 1990-2021 du Canada déposé à l’ONU⁠2

Les programmes nationaux sont déjà mal vus dans les Prairies. S’ils touchent à ces industries, ils sont vus comme une déclaration de guerre.

Par exemple, la tarification du carbone a été attaquée jusqu’en Cour suprême, avant d’être maintenue. Le règlement sur le plastique a été invalidé par la Cour fédérale. Même chose pour certains aspects des évaluations environnementales.

Les poursuites se préparent maintenant pour la réglementation qui exigera que la production d’électricité devienne carboneutre en 2035. Et d’autres suivront sans doute le dépôt attendu du règlement qui plafonnera les émissions de gaz et de pétrole.

Chez les conservateurs, des élus reconnaissent l’ampleur des perturbations climatiques et proposent un plan modeste pour agir un peu. C’était le cas d’Erin O’Toole, qui était ouvert à une forme de tarification du carbone. C’était aussi le cas du mouvement des Conservateurs pour la croissance propre, auquel participait notamment l’ex-ministre Lisa Raitt.

D’autres, comme Pierre Poilievre, ont pour principale ambition de défaire ce qui fonctionne. Il souhaite que la prochaine élection porte sur la taxe carbone. Sa priorité : l’abolir, même si les rapports et les experts démontrent qu’elle aide à réduire les GES et que son prix devrait être haussé pour atteindre nos cibles.

Il souhaite alléger le processus règlementaire pour les énergies renouvelables, ce qui n’est pas une mauvaise idée. Mais en parallèle, il veut exploiter plus de pétrole et de gaz. Comment polluer moins avec plus d’énergies fossiles ? Il s’en remet au développement de technologies émergentes comme la captage du carbone. Certes, cette technologie sera essentielle pour accompagner la production résiduelle de pétrole qui doit perdurer en 2050. Mais elle n’a pas fait ses preuves.

Selon l’Agence internationale de l’énergie, aucun nouveau gisement pétrolier et gazier ne devrait être exploité⁠3. Et elle rappelle que les technologies actuelles suffisent pour atteindre nos cibles.

Chez les libéraux, certains cherchent à se glisser dans le centre mou, entre les demandes environnementalistes et les pressions du lobby pétrolier, en regardant nerveusement les sondages.

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, appartient à ce clan. C’est celui-ci qui a détricoté la taxe carbone, en offrant une exemption pour le mazout. Et qui a aussi approuvé le projet pétrolier de Bay du Nord, au large de Terre-Neuve.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault

D’autres font de leur mieux pour faire avancer la cause en nageant contre le courant. Le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, mène ce combat, tout comme son prédécesseur Jonathan Wilkinson. Ils se battent en coulisses contre leurs collègues hésitants, et sont accusés de trahison par certains écologistes.

La plus récente série de rapports du commissaire au développement durable montre un autre problème bien canadien.

Pour continuer dans l’objectif de ne faire de peine à personne, disons-le ainsi : la machine fédérale n’est pas réputée pour son agilité.

Comme le commissaire à l’environnement l’a démontré, les plus récents plans climat reposaient sur des hypothèses trop optimistes et une analyse limitée des incertitudes. Ils n’évaluaient pas les réductions de GES anticipées pour chaque politique. Et les retards sont devenus la norme. Le pire : sept ans d’attente pour le règlement sur le combustible propre.

Mais une partie de ces délais peut se comprendre. Chaque pierre est retournée pour éviter que les tribunaux défassent les mesures vertes.

On en a eu quelques exemples cet automne. La Saskatchewan menace de ne plus collecter les revenus de la taxe carbone. L’Alberta a imposé un moratoire temporaire sur les énergies renouvelables. Ensemble, ces gouvernements conservateurs des Prairies mènent une croisade pour reporter le règlement sur l’électricité propre. Pour ce faire, l’Alberta invoque sa nouvelle Loi sur la souveraineté.

Certes, il s’agit d’une arme nucléaire, dessinée sur une napkin, sans véritable portée juridique jusqu’à preuve du contraire. Mais cela démontre la détermination d’Edmonton à freiner ce projet. Assez longtemps pour laisser le temps à M. Poilievre d’être élu et de finir le travail.

PHOTO PETER DEJONG, ASSOCIATED PRESS

Le drapeau du Canada est hissé en vue de la COP28, à Dubaï, aux Émirats arabes unis.

En début de mandat, les libéraux projetaient que les politiques actuelles mèneraient à une réduction des GES de 36,4 % d’ici 2030, par rapport au niveau de 2005. Cette projection a été révisée à la baisse, à 34 %. Soit encore plus loin de l’objectif, qui était « d’au moins 40 % ».

Ce théâtre politique laisse indifférents les gaz à effet de serre, qui continuent d’accomplir leur œuvre. Mais il explique dans quelle position le Canada se présente à la COP28.

Le ministre de l’Environnement est vu à gauche comme étant radicalement modéré, et à droite comme étant radicalement radical. En fait, il est surtout radicalement ralenti.

1. Consultez le rapport du commissaire à l’environnement et au développement durable 2. Consultez l’inventaire canadien des émissions de gaz à effet de serre 3. Lisez « Lutte contre les changements climatiques : “Trop tôt pour abandonner l’objectif de 1,5 °C” »