Ottawa tarde à mettre en place des mesures promises en 2021 pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) relâchées par l’exploitation pétrolière et gazière au pays. Les longs délais liés au processus réglementaire ainsi que l’opposition de l’industrie pétrolière avec l’appui de l’Alberta et de la Saskatchewan pèsent lourd dans la balance, concluent des chercheurs de l’Université de Sherbrooke.

La promesse de Justin Trudeau

De passage à la conférence internationale sur le climat (COP26) qui s’est tenue à Glasgow, en Écosse, en 2021, le premier ministre Justin Trudeau s’était engagé à « imposer un plafond sur les émissions du secteur pétrolier et gazier dès aujourd’hui et veiller à ce qu’elles diminuent demain au rythme et à l’échelle nécessaire pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050 ». « Pour l’heure, notre analyse montre que le gouvernement du Canada a accumulé du retard dans la mise en œuvre de cet engagement », indique une récente note de recherche produite par des chercheurs de l’Université de Sherbrooke en collaboration avec la firme de relations publiques COPTICOM.

Près du tiers des émissions de GES du Canada

Rappelons que le secteur pétrolier et gazier est le plus important émetteur de GES au pays, avec un bilan qui représentait 28 % des émissions canadiennes en 2021. Entre 1990 et 2021, les émissions issues des activités d’extraction de pétrole et de gaz ont fait un bond de 235 % et elles ont augmenté de 64 % entre 2005 et 2021, souligne le rapport rédigé par Jennyfer Boudreau, coordonnatrice à la recherche à l’Université de Sherbrooke, et Philippe Simard, conseiller chez COPTICOM, également chargé de cours et professionnel de recherche à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.

Au-delà des belles promesses

« Dans les COP, il y a souvent de belles promesses, mais on ne respecte pas toujours les engagements qui sont pris », signale Annie Chaloux, professeure à l’Université de Sherbrooke, qui a également codirigé cette première analyse préparée dans le cadre du projet MeO-Climat. Ce projet de recherche mené conjointement par COPTICOM et l’Université de Sherbrooke vise justement à évaluer « le niveau de mise en œuvre » des engagements climatiques pris par le Québec et le Canada à la COP26. « Avec COPTICOM, on a décidé de regarder ça plus en profondeur. On se penchera bientôt sur une série d’engagements sur le méthane », précise Mme Chaloux.

Objectif : réduire les émissions de 31 %

Le rapport souligne que « cet engagement d’imposer un plafonnement des émissions des secteurs pétrolier et gazier comporte deux sous-engagements ». Le premier vise à plafonner et ensuite réduire les émissions, alors que le deuxième prévoit introduire des cibles sur cinq ans afin d’atteindre la carboneutralité en 2050. Dans un plan publié en mars 2022, Ottawa a indiqué qu’il fixait à 31 % la cible de réduction des émissions du secteur pétrolier et gazier d’ici 2030, par rapport à 2005. Le gouvernement fédéral a aussi proposé la même année deux options réglementaires qui lui permettraient d’atteindre son objectif, sans préciser toutefois l’avenue qui serait privilégiée.

De report en report

En septembre 2023, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a affirmé à l’agence Bloomberg qu’un projet de règlement devrait être publié en octobre 2023 et le serait « certainement » avant la COP28, rappelle-t-on. Dans une entrevue au quotidien Le Devoir, quelques semaines plus tard, M. Guilbeault a plutôt mentionné que le règlement serait adopté au plus tard à l’automne 2024. « Au moment de produire cette analyse [mi-novembre 2023], aucun projet de règlement n’avait encore été présenté », notent Jennyfer Boudreau et Philippe Simard. « De plus, l’avenue réglementaire privilégiée par le Canada était toujours inconnue », ajoutent-ils. Le rapport signale également qu’aucune cible quinquennale n’a encore été présentée.

Des libéraux « plus frileux » face à un « risque politique »

L’analyse cite deux facteurs qui ralentissent les actions visant à réduire les émissions du secteur pétrolier et gazier. On souligne la lenteur du processus réglementaire qui peut prendre jusqu’à sept ans avant d’aboutir à un règlement officiel. On note aussi l’opposition de l’industrie pétrolière appuyée par l’Alberta et la Saskatchewan à toute nouvelle réglementation sur les émissions polluantes. « Quand le fédéral annonce un plafond d’émissions, on joue dans une zone où il y a un risque politique, fait remarquer Annie Chaloux. L’Alberta et la Saskatchewan vont déchirer leur chemise [si Ottawa va de l’avant]. Et le jeu politique actuel fait en sorte que les libéraux sont plus frileux et pourraient perdre le pouvoir [aux prochaines élections] », ajoute-t-elle.

Des compagnies pétrolières qui ignorent la crise

Les compagnies pétrolières d’État, qui contrôlent la moitié du pétrole et du gaz dans le monde, ignorent pour la plupart le risque associé à la transition énergétique sur leurs activités souvent cruciales pour l’économie locale, selon un rapport du Natural Resource Governance Institute publié mardi à deux jours de la COP28. Les pays actionnaires de ces entreprises restent encore très dépendants de la rente pétrogazière, souligne-t-on.

Avec l’Agence France-Presse

Lisez la note de recherche du Pôle intégré de recherche environnement, santé et société